Longitude

Publié le 04 octobre 2009 par Dr_goulu @goulu

le chronomètre H1 de John Harrisson © National Maritime Museum, Greenwich, London

Je viens de transférer “Longitude : l’histoire vraie du génie solitaire qui résolut le plus grand problème scientifique de son temps”¹ de la liste “bouquin à lire un jour” à la liste “bouquins lus et vivement recommandés”.

Je ne m’étais pas précipité pour le lire car je connaissais un peu l’histoire de John Harrisson, génial horloger anglais qui construisit dès 1734 les premières horloges suffisamment précises pour permettre aux navires de déterminer leur longitude en mer.

La talent de Dava Sobel est d’avoir replacé cette réalisation technique dans le contexte scientifique et économique de l’époque. Économique d’abord car les naufrages dus à une mauvaise estimation de la longitude coutaient cher en richesses submergées et en vies noyées. C’est d’ailleurs après le naufrage en 1707 de la flotte de l’amiral Clowdisley aux iles Scilly qui causa la mort de 2000 hommes que le roi promulgua le “Longitude  Act” en 1714 : celui qui parviendrait à déterminer la longitude d’un navire à moins de 30 milles près (~56 km) après 40 jours de navigation recevrait la somme fabuleuse de £20′000 de l’époque, soit environ 10 millions d’euros actuels, plus que tous les prix Nobel réunis!

Les navigateurs arrivaient à déterminer leur latitude avec cette “précision” déjà près d’un millénaire grâce aux astrolabes, et au début du XVIIIème, ils atteingnaient une précision d’environ un mille en latitude grâce au sextant. Pourquoi diable n’arrivait-on même pas à avoir une vague idée de la longitude ? Pourquoi ce défi était-il si difficile ?

“Longitude” explique bien la différence fondamentale entre les deux dimensions de la cartographie : la latitude est une valeur absolue, la longitude est relative à un méridien de référence arbitraire, actuellement celui de Greenwich. On peut donc déterminer sa latitude en observant la hauteur de quelques étoiles au dessus de l’horizon, alors que la longitude exige de mesurer une différence entre une observation locale et la même observation faite simultanément au méridien de référence.

Fondamentalement, tout le monde était d’accord : il fallait déterminer le décalage horaire entre Greenwich et le bateau. La solution évidente de nos jours du chronomètre (ou l’horloge atomique des satellites GPS), ne l’était pas du tout à l’époque. La Terre effectuant une rotation de 360° en 24 heures ou 1440 minutes, elle tourne d’un degré en 4 minutes. Pour remporter le prix du “Longitude Act”, il fallait une horloge ne dérivant que d”une seconde sur un bateau secoué par les vagues, alors que les meilleures horloges fixes de l’époque dérivaient de plusieurs minutes par jour. Personne ne croyait qu’il soit possible de réaliser un mécanisme 100 à 1000 fois plus précis.

Puisqu’on utilisait l’observation astronomique pour remettre les pendules à l’heure, la majorité écrasante des scientifiques de l’époque estimaient que la solution était à trouver dans les cieux. D’autant  qu’un siècle plus tôt, en 1610, Gallilée découvrit les satellites de Jupiter et mit au point un système de mesure de la longitude² basé sur une table prédisant leurs (nombreuses) éclipses. Cette méthode permit à Cassini de cartographier les côtes françaises avec une précision de l’ordre de 10 km autour dans les années 1680, mais se révéla impraticable en mer. De plus, Ole Rømer s’aperçut qu’il fallait tenir compte de la vitesse de la lumière pour une mesure précise et fournit la première mesure raisonnable de la constante c.

Outre de nombreuses idées farfelues répertoriées dans le chapitre le plus amusant du livre, la méthode des “distances lunaires” avait les faveurs de bon nombre de scientifiques de l’époque, et notamment de l’astronome royal, Nevil Maskelyne que Dava Sobel dépeint comme un farouche adversaire de Harrisson.

Après une vie de travail, John Harrison et son fils William remportèrent en 1772 le prix avec l’extraordinaire montre  “de poche” H4, de 13 cm de diamètre et d’un poids de 1.5 kg qui n’a dérivé que de 5 secondes après une traversée de l’Atlantique de 2 mois, soit à peine plus d’un mille d’erreur en longitude!

Les montres de Harrisson et leurs copies réalisées par Kendall ont été utilisées pendant plus d’un siècle à bord des navires de Sa Majesté, leur fiabilité est telle que les exemplaires exposés au National Maritime Museum de Greenwich sont encore en état de marche.

Bon, je voulais écrire une critique de livre et j’ai pondu un article sur la longitude… Mais lisez ce livre, il est excellent.

Références:

  1. Dava Sobel, “Longitude : l’histoire vraie du génie solitaire qui résolut le plus grand problème scientifique de son temps”, Lattès, Paris, 1995 (traduit de l’anglais par Gérald Messadié) ISBN 2709617439
  2. Michel Toulmonde “Galilée et les satellites de Jupiter
    au service de la cartographie au XVIIe siècle“, Observatoire de Paris (SYRTE) et Université d’Evry 2009
  3. “John Harrison and the Longitude problem“, National Maritime Museum de Greenwich
  4. Jonathan Betts “John Harrison (1693–1776) and
    Lt. Cdr Rupert T. Gould R.N. (1890–1948)“, National Maritime Museum / Royal Observatory, Greenwich
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