Il a 3 ans

Par Vanessav
Je n’ai pas de souvenirs de mes 3 ans. Ou si, mes souvenirs de la toute petite enfance se résument à un homme m’embrassant avec une barbe toute piquante mais dont je cherchais la piqure : mon père, barbu, m’embrassant, mort avant l’âge de mes 2 ans.
Alors que retiendra notre petit d’homme de cette période. Sûrement rien, si ce n’est les souvenirs entretenus par les photos et aussi reconstruits par sa mémoire, du faux et du vrai entremêlés. J’imagine que cette non-conscience des faits sera pourtant un fondement de son évolution, de son développement. Les bases d’une confiance en lui, d’un respect de lui-même et d’un sentiment de sécurité affectif. J’espère.
Aujourd’hui il a 3 ans.


Se rappellera-t-il de ses courses poursuites avec les vagues ? De ce cheval monté à cru ? De ses premiers pas de patinette ? De ce vélo ? Se rappellera-t-il des livres qu’il nous faut relire tous les soirs pendant un mois jusqu’à ce qu’il passe son dévolu sur un autre ? Se rappellera-t-il de sa première rentrée scolaire ? De sa première maîtresse, Mélanie et son accompagnante Agathe ? Se rappellera-t-il de ses premiers copains, à la crèche et à l’école : Matéo, Umberto et Zacharie… ou encore, pour les premiers noms qui reviennent de l’école : Alexandre, François, Cloé, Mélissia, Mathurine, Camille ?
Se rappellera-t-il de nos difficultés à être parents, notre impatience en week-end, nos coups de colère, notre épuisement ? Se rappellera-t-il de nos débordements d’amour ? Se rappellera-t-il de ce respect que nous parvenons, quelquefois, à lui octroyer (bien peu souvent par rapport à nos volontés) ? Se rappellera-t-il de tous ses apprentissages quasi ritualisés, un peu Montessoriens aussi ?

Moi je m’en rappellerais. De ses 1 an, de ses 2 ans.
Je me rappellerais de cette oppression à être mère, de cette impression d’avancer mais de ne plus avoir de disponibilité à soi.
Je me rappellerais des moments sans parole, des moments de réconfort, des moments de premiers apprentissages où je lui disais en bas d’un escalier « Tiens toi bien, trésor, et vas-y ! » Je me rappellerais de ce tas de sable, ancien château fort de plus grands que lui, abandonné aux retardataires des plages, véritable Mont-blanc pour lui où, aidé la première fois, il a grimpé pour crier « Victoire ! » en levant les bras.

Je me rappellerais de ces premiers pas en cuisine, sur son escabeau, collé à moi, les mains dans la farine ou chipant ça et là, une ou deux Piccolini, un quartier de pomme, une tagliatelle de courgette, crus. Je me rappellerais des premières nuits blanches quand la fièvre l’a touché et où la parole n’était pas encore là pour nous soutenir dans l’aide que nous aurions pu lui fournir. Je me souviendrais des heures et des heures à penser que je suis en retard sur les propositions de découvertes que je lui fais. Sa soif d’émerveillement est à son comble et attend d’être, un peu, étanchée.
Je me rappellerais des lectures du soir si attendues. Est-ce aussi pour cela qu’il les aime ? Le plaisir d’être accompagné dans un imaginaire, de partager la fiction et le moment tendre et le plaisir de voir maman heureuse.
Il a 3 ans. Il grandit, se forge pas à pas son identité, s’éloigne du cocon pour y revenir si vite : il ne prend pas encore son envol, il se lisse juste les ailes, conscients de ne pas être nous. C’est beau de le voir partir (même un tout petit peu).
Il est notre plus grande aventure : éprouvante, déstabilisante, constructive, épanouissante, spirituelle. Notre plus grand amour aussi.