Femto-review: parasites, pollution, et conservation

Publié le 18 octobre 2007 par Timothée Poisot

Comme le faisait remarquer Windsor (1998), il est fort probable que la majorité des espèces sur terre soient des parasites. Pourtant, on ne peut s’empêcher de constater que leur rôle dans le fonctionnement des écosystèmes n’a été pris en compte que très récemment (e.g. Poulin, 1999, Lafferty et al., 2006, Thompson et al., 2005). Pourtant, en se penchant d’un peu plus près sur le sujet, on voit rapidement tous les avantages qu’on peut retirer de l’étude des parasites (et des interactions durables en général). Hudson et al. () ont d’ailleurs commis une très belle revue sur le sujet.

La pollution, du point de vue des hôtes

Un des aspects qui m’intéresse particulièrement en ce moment, c’est l’utilisation potentielle des parasites comme indicateurs de la pollution. Comment donc?

Un tout petit peu de théorie. On fait l’hypothèse que chaque organisme dispose d’une quantité finie d’énergie qu’il doit attribuer à différentes fonctions, qu’on regroupe assez classiquement de la manière suivante: condition somatique, survie, reproduction. Dans la survie, on regroupe l’immunocompétence et tous les comportements et systèmes qui servent a ne pas finir rongé par les vers.

Assez intuitivement, on se rend compte qu’on ne peut pas être bon partout, et qu’un investissement d’un côté va diminuer la performance de l’autre. Même si ce n’est pas vraiment aussi simple dans la “vraie vie”.

La pollution, comme tout bon stress, va dérégler les grands systèmes qui font un organisme (ce qui dans le cas d’un organisme supérieur signifie système immunitaire et neuro-endocrinien). Il y a des exemples à la pelle d’interactions entre ces systèmes, je ne m’étend pas plus. A titre d’exemple quand même, le cortisol produit en cas de stress est un immunosuppresseur, la testostérone tue les lymphocytes, etc etc…

Un organisme soumis a la pollution, et donc en situation de stress, a de fortes chances de devenir moins résistant aux agressions, puisque ses systèmes sont déstabilisés, et que sa capacité de régulation (maintenir la fameuse homéostasie) est compromise . Alors un jour on s’est dit, “et si on regardait les parasites”.

Une petit histoire maintenant. Il y a quelques mois, nous étions en train de faire des bilans parasitaires à la pelle, et dans les animaux que nous avions a notre disposition se trouvaient quelques grenouilles. Un soir que nous regardions les données (le genre de soir ou il est pas loin de 2 heures du matin, que la cafetière a disparu, que tout le monde est sur les nerfs), une collègue me jette un regard étrange, et me sors :tu fais quoi comme test pour comparer des moyennes?. Pourquoi? Dans le genre d’éclair de génie qu’on n’a que dans ces situations là, elle avait remarqué que nos grenouilles, venant de deux sites différents, avaient des charges parasitaires bien différentes. Les premières, très fortement parasitées (par le nématode Rhabdias buffonis si je me souviens bien), avaient été capturées près de la vallée, sous les exploitations viticoles. Les dernières, beaucoup moins parasitées, venaient de la montage.

Notre échantillon était loin d’être représentatif, mais on a quand même fait un peu de biblio en rentrant. Albert et al. (2007) et King et al. ( 2007) avaient des résultats qui semblaient aller dans le même sens.

En creusant bien, on pourrait reproduire ce genre de résultats sur un nombre incroyable de modèles. Et on en profitera pour se rendre compte que l’idée n’est pas vraiment nouvelle, puisqu’on la retrouve déjà largement développée par Overstreet (1997).

La pollution, du point de vue des parasites

Ce qui est marquant, c’est à quel point les études sur les parasites ont tendance a se focaliser sur les hôtes. J’ai d’ailleurs sciemment commencé cette “femto-review” par les aspects “hôte” de la pollution. Ce serait oublier des travaux assez remarquables de mes estimés collègues tchèques effectués sur les parasites eux-même (et je ne dis pas remarquable uniquement parce qu’il s’agit de monogènes de poissons).

Un des aspects importants dans l’étude des relations hôte-parasites est la diversité (et je ne rentre pas plus dans les détails, ce serait une digression beaucoup trop longue et assez ennuyeuse pour ceux qui ne sont pas fans). Il était donc relativement intéressant de regarder comment cette diversité évoluait selon la pollution.

C’est précisément ce qu’on fait Dusek et al. (1998) sur les parasites d’un poisson de rivière dont je vous ai déjà largement conté les mésaventures: Leuciscus cephalus. Ce qui a été observé est assez révélateur: le nombre d’espèces de parasites est inférieur dans les régions polluées, ce qui indique très clairement que les parasites souffrent aussi de la pollution (et ça n’a finalement rien d’étonnant). Au niveau de la communauté, des résultats vraiment intéressants sont sortis: la diversité diminue, et la répartition des abondances se lisse (ce qui est relativement peu courant). D’autre part, les spécialistes souffrent plus que les généralistes de la pollution. Gelnar et al. (1997) avaient obtenu des résultats similaires.

Mais ce n’est pas tout. Le parasitisme, c’est avant tout des adaptations, et des organes bien spécifiques. Sebelova et al. (2002) se sont concentrés sur les déformations subies par ces organes dans les zones polluées chez des Diplozoidae. Ce qui leur a permis de mettre en évidence des déformations structurales dans les crochets, et même des modifications du nombre de crochets (les photos du papier sont assez impressionnantes).

Plus récemment, une étude de Pecinkova et al. (2005) a classifié précisément ces modifications chez Paradiplozoon homoion, et mis en évidence que la plupart d’entre eux survenaient pendant l’onogénèse du parasite. Encore une fois, les photos du papier sont impressionnantes.

Biologie de la conservation

C’est le point ou vous en avez marre d’entendre parler de pollution. Et ou moi je suis allé me chercher un café entre temps. Il est temps, donc, de se lancer dans une partie plus “optimiste”: les apports potentiels de l’utilisation des parasites dans la biologie de la conservation. C’est paradoxalement le domaine pour lequel j’ai lu le moins de papiers à l’heure actuelle (mais je compte bien rattraper ça un jour ou l’autre).

Tout d’abord, je cite deux études qui me semblent importantes sur ce sujet, à savoir celles de Pierre Sasal et al. (2000, 2004), qui s’intéressent particulièrement à l’écologie des parasites (et encore une fois, il s’agit de monogènes) dans les zones protégées.

Bien, maintenant les choses sérieuses. Un des gros problèmes à l’heure actuelle (parmi tant d’autres) est la gestion des espèces invasives. La remarque qu’on fait en général est elles réussissent parce qu’elles n’ont pas de prédateurs dans leur nouveau milieu. Oui, mais pas seulement. Demandez à Torchin et al. (), ou plutôt lisez ce papier paru dans Nature, et vous verrez que le manque de parasites peut être un facteur important pour le succès de l’invasion (et de manière générale, les papiers de Torchin sur les invasions valent le coup d’oeil).

Une des autres applications possibles a été avancée récemment par Power et al. (2005), à l’université de Valence. Puisque les parasites sont bien spécialisés géographiquement, pourquoi ne pas examiner les poissons qui sont pêchés pour savoir ou ils ont été pêchés, et ainsi détecter d’éventuelles fraudes ou prises illégales? C’est une idée très intéressante, mais qui demande un sacré échantillonnage préalable (puisqu’il faut connaître la répartition géographique d’un nombre suffisamment important de parasites). Mais comme les auteurs le disent, il s’agit d’une “étude pilote”.

Allez, une autre application sympathique. Avec un peu de théorie en prime. Les parasites ont cette propriété sympathique de passer successivement par plusieurs hôtes avant d’effectuer la reproduction dans l’hôte définitif (évidemment on a des parasites avec un cycle direct, c’est à dire un hôte unique, je suis mal placé pour vous dire le contraire). Et en général, les parasites sont exigeants vis à vis des hôtes (ils ont ce qu’on appelle un “spectre d’hôtes” dans lequel ils peuvent se développer). Prenons un cycle comme celui d’un trématode, qui va passer par un mollusque avant d’atteindre son hôte définitif (exemple: Schistosoma mansoni passe par Biomphalaria glabrata avant d’atteindre l’homme ou le rat).

Admettons que vous soyez en train de faire un inventaire de la biodiversité dans une région, et que vous soyez à la recherche d’une toute petite espèce d’insecte ou de rongeur particulièrement difficile à observer. Mais admettons aussi que votre collègue parasitologue (toujours en avoir un sous la main) vous dise Ah mais c’est l’hôte définitif de ce truc la, ou c’est le seul hôte intermédiaire possible pour ce truc ci. Si vous retrouvez des formes intermédiaires du parasite en question, vous pourrez être sur que votre est présent. Et avec un peu de modélisation, il n’est pas exclu que vous ayez des informations sur l’état de sa population. C’est un peu l’idée de Hechinger et al. (2007): utiliser les parasites pour s’informer sur les free-living.

Conclusion

Il est évident qu’on pourrait multiplier les exemples pendant des pages et des pages, et creuser encore plus. Ce qui n’est pas l’objet d’un article de blog. Mais arriver a ancrer son travail sur les parasites dans des problématiques plus vastes (je n’ai pas parlé, notamment, des impacts de l’aquaculture, mais je vous renvoie a un vieux billet sur le sujet, alors que ça m’intéresse particulièrement) est devenu important.

Bref, tout ça pour dire que j’espère avoir fait remonter les parasites d’un cran dans votre estime.

Les références ont été obtenues avec BibTeX2html, toujours en développement mais qui rend quand même des résultats utilisables.

A lire sur le sujet

Anathea Albert, Ken Drouillard, Douglas G. Haffner, Brian Dixon (2007) Dietary exposure to low pesticide doses causes long-term immunosuppression in the leopard frog (Rana pipiens). Environ Toxicol Chem 26( 6) pp. 1179–1185 [Google Scholar]

L. Dusek, M. Gelnar, S. Sebelova (1998) Biodiversity of parasites in a freshwater environment with respect to pollution: metazoan parasites of chub (Leuciscus cephalus L.) as a model for statistical evaluation. Int J Parasitol 28( 10) pp. 1555–1571 [Google Scholar]

M. Gelnar, S. Sebelova, L. Dusek, B. Koubkova, P. Jurajda, S. Zahradkova (1997) Biodiversity of parasites in freshwater environment in relation to pollution. Parassitologia 39( 3) pp. 189–199 [Google Scholar]

Ryan F. Hechinger, Kevin D. Lafferty, Todd C. Huspeni, Andrew J. Brooks, Armand M. Kuris (2007) Can parasites be indicators of free-living diversity? Relationships between species richness and the abundance of larval trematodes and of local benthos and fishes. Oecologia 151( 1) pp. 82–92 [Google Scholar]

Peter J. Hudson, Andrew P. Dobson, Kevin D. Lafferty (2006) Is a healthy ecosystem one that is rich in parasites? Trends Ecol & Evol 21( 7) pp. 381–385

K. C. King, J. D. Mclaughlin, A. D. Gendron, B. D. Pauli, I. Giroux, B. Rondeau, M. Boily, P. Juneau, D. J. Marcogliese (2007) Impacts of agriculture on the parasite communities of northern leopard frogs (Rana pipiens) in southern Quebec, Canada. Parasitology pp. 1–18 [Google Scholar]

K.D. Lafferty, A.P. Dobson, A.M. Kuris (2006) Parasites dominate food web linksPNAS 103(30) pp. 11211 [Google Scholar]

Overstreet (1997) Parasitological data as monitors of environmental health. Parassitologia 39( 3) pp. 169–175 [Google Scholar]

M. Pecinkova, I. Matejusova, B. Koubkova, M. Gelnar (2005) Classification and occurrence of abnormally developed Paradiplozoon homoion (Monogenea, Diplozoinae) parasitising gudgeon Gobio gobio. Dis Aquat Organ 64( 1) pp. 63–68 [Google Scholar]

Poulin (1999) The functional importance of parasites in animal communities: many roles at many levels?International Journal for Parasitology 29(6) pp. 903–914 [Google Scholar]

AM Power, JA Balbuena, JA Raga (2005) Parasite infracommunities as predictors of harvest location of bogue (Boops boops L.): a pilot study using statistical classifiers.Fisheries Research 72(2/3) pp. 229–239 [Google Scholar]

P. Sasal, P. Durand, E. Faliex, S. Morand (2000) Experimental approach to the importance of parasitism in biological conservationMarine Ecology Progress Series 198 pp. 293–302 [Google Scholar]

P. Sasal, Y. Desdevises, E. Durieux, P. Lenfant, P. Romans (2004) Parasites in marine protected areas: success and specificity of monogeneansJournal of Fish Biology 64(2) pp. 370–379 [Google Scholar]

S. Sebelova, B. Kuperman, M. Gelnar (2002) Abnormalities of the attachment clamps of representatives of the family Diplozoidae. J Helminthol 76( 3) pp. 249–259 [Google Scholar]

R.M. Thompson, K.N. Mouritsen, R. Poulin (2005) Importance of parasites and their life cycle characteristics in determining the structure of a large marine food webJournal of Animal Ecology 74(1) pp. 77–85 [Google Scholar]

M. E. Torchin, K. D. Lafferty, A. P. Dobson, V. J. McKenzie, A. M. Kuris (2003) Introduced species and their missing parasites. Nature 421( 6923) pp. 628–630

Windsor (1998) Most of the species on Earth are parasites.Int J Parasitol 28(12) pp. 1939–1941 [Google Scholar]

Notes
  1. il n’est pas inutile de se reporter a Zahavi (1975), J Theor Biol 53 pp. 205–14 [↩], Hamilton & Zuk (1982), Science 218 pp. 384 [Google Scholar], ou encore Folstad & Karter (1992), Am Nat 139 pp. 603–622 [Google Scholar] pour en savoir plus []
  2. je ne dis nulle part que l’agriculture est responsable de la situation de ces grenouilles dans notre cas — je souligne juste un exemple d’observation qui nous a conduit a rechercher des résultats intéressants []