un regard cathare sur l’Ancien Testament: en finir avec les catégories de l’Ancien Testament

Publié le 11 octobre 2009 par Kakushin

Pendant plus de deux mille ans, les autorités religieuses juives et chrétiennes ont cru, enseigné ou laissé croire que la Torah était l’œuvre de Moïse, que les livres des premiers prophètes constituaient des réalités historiques rassemblées tour à tour par les prophètes Samuel et Jérémie, que David était l’auteur des Psaumes et que les Proverbes et le Cantique des cantiques constituaient l’œuvre de Salomon. Aujourd’hui, la paléographie, l’archéologie et la critique littéraire s’allient pour dévoiler que la bible hébraïque -tout au moins la Torah et les premiers prophètes -constitue une composition de scribes, aux intentions politiques et religieuses, que l’on situe entre le VIIIe et le VIe s. av JC.

Les cinq premiers livres de la Bible constituent donc une collection de diverses traditions réunies par quelques scribes compilateurs dont on peut distinguer les gloses et les transitions. Il s’agit d’une création au service de l’idéologie du royaume de Juda et particulièrement du roi Josias qui donna un fondement religieux à ses grandes ambitions politiques. La dernière touche rédactionnelle (la main sacerdotale) est habituellement datée du VIe s. av JC, après le retour de l’exil babylonien. La Torah est finalement une mosaïque documentaire formée de textes disparates, écrits dans des environnements politiques et religieux divers et réunis par des rédacteurs habiles.

Nous savons que les quatre premiers livres de la Torah et les livres pseudo-historiques qui suivent le cinquième livre ont été écrits quelque dix siècles après la saga des Patriarches et quelque cinq siècles après les événements de l’Exode et de la Conquête de Canaan qu’ils prétendent rapporter. Quelles qu’aient été les sources traditionnelles recueillies par les rédacteurs pour asseoir les fondements de leurs intentions politiques et religieuses, les savants sont parvenus à la conclusion que la saga des Patriarches, l’épopée de Moïse et la conquête de Canaan, telles que la Bible nous les donne à lire, ne sont rien d’autre que de fabuleuses inventions !

Le christianisme est né d’une série de ruptures qui l’ont éloigné de ses fondements hébraïques

(L'auteur de l'article articule son exposé autour de 7 ruptures fondamentales. Je me bornerai sur seulement quelques uns de ces points de rupture.)
La quatrième rupture fut le fait de l’apôtre Paul. Alors qu’il s’employait à persécuter les chrétiens, il prit conscience que sa fidélité à la Torah légitimait des actes que sa conscience réprouvait. Brutalement retourné dans ses idées, il noua une intimité avec le Christ ressuscité dont il se proclama l’apôtre en vue d’annoncer l’Evangile : Adam fut le premier-né de la « création ancienne ». Homme-animal il fut la cause du péché dans le monde. Le Christ apparut à l’Apôtre, à l’opposé d’Adam, comme le modèle humain de la « création nouvelle » envoyé des Cieux. En tant que loi positive, la Torah devait être abolie au profit d’une loi intérieure à l’homme révélée par la grâce.
La septième rupture eut lieu en l’an 144. Marcion de Sinope appela l’Eglise romaine à être cohérente dans sa foi et à rejeter l’ensemble des écritures hébraïques en contradiction avec la non-violence évangélique. Marcion proposa un saut ontologique qui visait à créer une grande communauté spirituelle sur le modèle paulinien. Il fut excommunié et créa sa propre Eglise, dont l’importance put se comparer à l’Eglise romaine jusqu’à ce que celle-ci s’alliât à l’Empire. Pour Marcion, les Béatitudes constituaient les préceptes essentiels de Jésus. La Torah et l’Evangile étaient antinomiques au point qu’ils ne pouvaient émaner que de dieux distincts. Le Christ était véritablement l’envoyé du Dieu inconnu pour délivrer les croyants du Créateur et de la Matière mauvaise.

Peu à peu, une pensée cathare renouvelée relève le défit et trouve sa place dans l’opinion chrétienne d’aujourd’hui. Sa problématique répond au questionnement de chrétiens qui se disent encore catholiques romains mais ne le sont plus vraiment. Elle soulève résolument l’incohérence de la doctrine de l’Eglise classique qui s’ingénie à cultiver l’art du paradoxe et à amalgamer les valeurs contradictoires de la bible hébraïque et des évangiles. Cette pensée cathare renoue avec la nécessité de rupture théorisée par Marcion, le fondateur du dualisme chrétien.
La critique biblique, dont Marcion eut l’audace, s’inspirait de l’enseignement de l’apôtre Paul. Il apparut à Marcion que le caractère pervers et cruel de la justice du Père créateur se distinguait catégoriquement de la représentation christique du Père bon et miséricordieux. Cette justice redoutable ne s’abattait-elle pas sur une créature faible, mal conçue, soumise par nature à de terribles appétences ? Ne punissait-elle pas les péchés du père sur les enfants ? Ne laissait-elle pas l’innocent souffrir à la place des méchants ? N’accordait-elle pas mansuétude et bénédiction aux adorateurs de Yhwh quels que fussent leurs excès de violence ? Marcion comprit clairement que puisque personne n’avait su « qui était le Père, sinon le Fils et celui à qui le Fils avait voulu le dévoiler », le dieu des patriarches, de Moïse et des prophètes ne pouvait avoir été le Père du Christ.

La violence et la cruauté du conquérant de « la Terre promise » heurtait profondément le pacifisme évangélique. A titre d’exemple, Yhwh arrêta la course du Soleil et de la Lune pour laisser à Josué le soin d’exterminer le peuple indigène. Or la non-violence de Jésus était si absolue qu’elle semblait ne pas même intégrer l’idée de résistance : « Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous détestent, bénissez ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous insultent ».

Marcion connut une conversion paulinienne : la fulgurance de l’éclair de lumière dans un monde de ténèbres. Il lui fut évident que le Christ établissait une filiation unique avec un dieu étranger que nul prophète n’avait jamais connu. La transformation de l’être constituait un terrible renversement de valeurs. La fracture familiale et sociale lui fut aussi nette que le Christ l’avait demandée. Le monde, tel qu’il avait appris à le voir et à le comprendre à travers la vieille tradition biblique, s’effondrait. Yhwh n’était plus que la représentation d’un dieu déshérité, créateur et maître de la misère du monde. Avec le concours du Christ, le Dieu inconnu introduisait une « nouvelle création » au cœur même de la « création ancienne », afin d’arracher les hommes de l’emprise des lois du méchant Créateur.

Tandis que Yhwh exigeait de ses fidèles qu’ils accomplissent les œuvres de la Torah en se conformant en toute rigueur aux rituels de pureté et aux obligations sociales et cultuelles, tandis que le salut du peuple représentait l’unique espérance d’Israël, le disciple de Paul déclara que la grâce était universellement et gratuitement offerte à qui déclarait sa foi en l’Evangile. Il signifiait clairement que l’esprit du dieu du Christ envahissait l’homme en rupture de tradition ; que le rejet de la Torah valait aussi rejet de l’Histoire ! L’esprit du Dieu inconnu ne pouvait procéder d’une justice légale ; si bien que l’homme ne le recevait pas légitimement, en vertu d’un droit et selon une procédure religieuse normalisée, mais gratuitement, sans intermédiaire. Marcion reniait par avance le principe apostolique qui allait prétendre relier les médiateurs du Créateur par une chaîne de justice garante de leur orthodoxie.

Tandis que Marcion avait argumenté sur les contradictions fondamentales entre l’Evangile et la Torah, son disciple Apelle ajouta que la tradition juive n’était constituée que par un ensemble de mythes et de légendes. Il fallut attendre les sciences historiques du XXe siècle pour faire justice à l’hérésie d’Apelle. A titre d’exemple, les rédacteurs bibliques rapportent que, sous la conduite de Moïse (XIIIe s. av JC), les « Hébreux » se heurtèrent aux Philistins dans leur tentative d’envahissement du pays de Canaan par la voie de la côte méditerranéenne. Ils ignoraient que les Philistins ne devaient s’établir dans la région qu’un siècle plus tard. Après quarante années de châtiment à Cadès-Barné, les « Hébreux » tentèrent vainement d’envahir « la Terre promise » par le Néguev. Les rédacteurs bibliques ignoraient encore qu’il n’y avait aucun Cananéen dans la région en cette fin de l’âge du Bronze. Autre exemple : Les auteurs bibliques nous content une fabuleuse prise de Jéricho par Josué, avec l’écroulement des remparts au son des trompettes, à une époque où le site était dans un état de complet abandon.

Les cathares puisent leur foi au cœur du seul Evangile

Rompre avec les catégories de l’Ancien Testament consiste pour les cathares d’aujourd’hui, comme pour les cathares du moyen-âge, à refuser l’amalgame des traditions qui brouille le message évangélique. Nulle violence ne peut être légitimée au nom du Sermon sur la Montagne, cœur de l’enseignement de Jésus. La violence « chrétienne », autour de nous et dans le monde, ne trouve à se justifier que par un recours aux œuvres de la Torah.

Dès lors que l’homme considère que la création est merveilleuse, en dépit des souffrances qui créent la vie et de la misère que porte le monde, dès lors qu’il n’a d’autre regard que pour un dieu unique, créateur, législateur et maître du monde, il place sa confiance dans une parole double, à la fois légale et libertaire, cruelle et bienveillante, jugeuse et indulgente, nationaliste et universaliste, conquérante et pacifiste, possessive et dénuée, punitive et guérisseuse, vengeresse et miséricordieuse. Cet homme justifie l’expression du bien et du mal dans le monde et dans sa propre vie par l'ambiguïté de son dieu.

Le « bon chrétien » qui cherche à s’engager sur la voie droite du Christ, s’affranchit de toutes ces contradictions. Il reconnaît les deux dieux. Il se dévêt de la créature ancienne pour revêtir la créature nouvelle. Il sait où est le bien, où est le mal ; car, si son Dieu est inconnu, il n’est pas équivoque.

à lire dans son intégralité ici: http://www.chemins-cathares.eu/020103_rompre_avec_les_categories_ancien_testament.php