Les hackers, « bidouilleurs » de la société de l’information par Jean-Marc Manach (le monde diplomatique)

Publié le 14 octobre 2009 par Jérémy Dumont

 

Extrait : Les « bidouilleurs » de la société de l’information de Jean-Marc Manach. C’est un texte qui est très actuel et qui résume en fait la tendance au “hacking” (pas au sens piratage mais au sens “bidouillage”, qu’il soit électronique,technique, informatique, citoyen.

> Il est à lire dans son intégralité sur le Monde diplomatique par ici !

La sensibilité aux questions de vie privée, d’informatique et de libertés est autrement plus vive dans d’autres pays. En 2005, deux électroniciens découvrirent, stupéfaits, que les données confidentielles contenues dans la carte Vitale n’étaient pas protégées : on pouvait les lire, mais aussi les modifier. Pour d’obscures raisons, le mécanisme de sécurité n’avait pas été activé. L’affaire aurait pu faire scandale ; elle ne suscita que quelques articles de presse, et fut rapidement oubliée après que les responsables de la carte Vitale, tout en reconnaissant le problème, eurent déclaré qu’il serait corrigé. Quelques mois plus tard, l’un des deux électroniciens remonta au créneau en faisant remarquer que rien n’avait été fait. Aucun journaliste, aucun syndicat, aucune association de patients ne s’en inquiéta. Et ni la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), censée garantir la protection de la vie privée, ni la direction centrale de la sécurité des systèmes d’information (DCSSI), autorité nationale de régulation chargée de la sécurité informatique, ne se saisirent du problème.

 Le terme de « hacker » a gagné ses lettres de noblesse au célèbre Massachusetts Institute of Technology (MIT). Initialement, il qualifiait ces « bidouilleurs » qui parvenaient, de manière brillante, ingénieuse et propre, à impressionner leur communauté, à faire quelque chose qui n’était pas soit prévu, soit même autorisé. Dans les années 1970, l’informatique était centralisée, et son utilisation bridée. Ceux qui parvenaient à déjouer les mécanismes de sécurité pour, par exemple, réparer l’imprimante, corriger un bug dans un logiciel ou encore l’améliorer en le dotant de nouvelles fonctionnalités, sans avoir pour cela recours aux techniciens dûment habilités, pouvaient revendiquer le titre de hacker, qui leur conférait un certain prestige.

Aujourd’hui, ce sont eux qui traquent, et réparent, les failles de sécurité informatique, mais aussi qui protègent les systèmes des « pirates informatiques ». Ils se sont professionnalisés et ont créé leurs propres sociétés, tout en conservant, pour beaucoup, l’esprit underground et libertaire de la contre-culture des années 1970 dont ils sont issus. Leurs compétences sont très recherchées : les services de renseignement américains n’hésitent pas à venir à leurs hackmeetings, rencontres plus ou moins festives et débridées, dans le but clairement affiché d’en recruter ; et il arrive aussi que certains soient auditionnés par le Congrès. Car, si Internet est devenu une véritable industrie, la sécurité informatique en est la pierre angulaire.

En Allemagne, la culture hacker est encore plus politisée, grâce au Chaos Computer Club (CCC), créé dans les années 1980, qui revendique plus de quatre mille adhérents. Ces derniers interviennent régulièrement dans le débat public pour dénoncer les atteintes à la vie privée ou les problèmes posés par certains systèmes informatiques, comme ils l’ont fait cet été pour le nouveau projet de carte de sécurité sociale, qui serait insuffisamment sécurisé. Signe de leur importance géopolitique, lorsque l’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (Icann), l’organisme international de régulation d’Internet, proposa aux internautes de désigner leurs représentants, en 2000, c’est le candidat du CCC, M. Andy Müller-Maguhn, 28 ans, qui fut élu par les Européens.

Les hackers sont à l’origine d’une bonne partie des innovations qui ont permis le développement de l’informatique et d’Internet : MM. Steve Wozniak et Steve Jobs se sont fait connaître en tant que hackers avant de créer la société Apple ; et le succès des logiciels libres, dont l’importance va croissant, s’explique en partie par cette culture qui voit des informaticiens chercher à repousser sans cesse les limites de leur discipline. Que ce soit aux Etats-Unis, en Allemagne, en Autriche ou aux Pays-Bas, on sait faire la différence entre les hackers, qui bidouillent pour le plaisir, pour la beauté du geste, ou parce qu’ils perçoivent la programmation comme un art, et les « pirates informatiques », qui utilisent leurs connaissances pour perpétrer des actes répréhensibles. 

Si tous les pirates sont des hackers, tous les hackers ne sont donc pas des pirates. Cette confusion s’est pourtant imposée depuis les années 1990 en France, où aucun professionnel de l’informatique n’oserait publiquement revendiquer le titre de hacker. Une raison à cela : le premier club de hackers français, le Chaos Computer Club de France (CCCF), qui eut son heure de gloire médiatique au début des années 1990, avait en fait été créé en sous-main par la direction de la surveillance du territoire (DST), afin de chercher à identifier les hackers qui pourraient nuire au pays, ou au contraire le servir.

Cette collusion française d’un esprit profondément libertaire avec les logiques sécuritaires et militaires n’est pas sans poser problème. Car aujourd’hui, dans le monde, à mesure que se développent les technologies de contrôle et de surveillance, certains hackers s’attachent, au nom de la défense des libertés, à en démontrer l’inanité.

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