Des traces de tracés de volute ionique au château de Chambord (41)

Par Jean-Michel Mathonière

Le Pays Cordier, Compagnon serrurier des Devoirs Unis, m'a envoyé quelques photos de graffiti qu'il avait remarqués lors d'une visite du château de Chambord (Loir-et-Cher). Parmi celles-ci, deux ont plus particulièrement retenu mon attention : il s'agit de dessins de volute ionique.

Voici la première :

© Photographie Patrick Cordier, D.R.

La seconde est moins nette (le tuffeau résiste mal au temps) et même d'un trait plus malhabile, mais elle est très intéressante car on voit encore, au centre de la volute, une partie du tracé constructif employé (on verra en fin d'article un agrandissement contrasté de la zone centrale) :

Suite:

© Photographie Patrick Cordier, D.R.

On rappellera ici que le château de Chambord est l'un des plus grands chefs-d'œuvre de la Renaissance et qu'il fut édifié entre 1519 et 1547 sur ordre de François Ier. Les tailleurs de pierre n'ont pas chômé : ses 426 pièces comptent 77 escaliers, 282 cheminées et 800 chapiteaux sculptés ! Ces derniers sont conformes aux ordres d'architecture antiques remis à l'honneur par la Renaissance, parmi lesquels l'ordre ionique qui se caractérise, au niveau de son chapiteau, par une double volute.

Sur les bases théoriques fournies par le traité De Architectura de Vitruve (architecte romain du Ier siècle) et sur les exemples concrets fournis par les édifices de l'Antiquité gréco-romaine, les architectes et théoriciens italiens des XVe et XVIe siècles produiront des traités d'architecture et des recueils de modèles. Toutefois, les grands classiques que sont les ouvrages de Palladio, Serlio ou Vignole sont élaborés postérieurement à la construction de Chambord, et publiés encore plus tardivement.

C'est donc assez probablement au traité de Vitruve lui-même, imprimé dès 1486 à Rome (il ne sera cependant traduit et publié en français qu'en 1547, l'édition classique demeurant la traduction donnée par Claude Perrault en 1684) mais dont il circulait de nombreux manuscrits dans les monastères depuis l'Antiquité, qu'ont été empruntés les dessins et tracés des ordres antiques. Je reproduis ci-dessous le tracé de la volute ionique figurant dans la première traduction française du De Architectura, publiée par Jean Martin en 1547 à Paris. Il est tout à fait comparable au dessin de la première photographie.

Mais le schéma constructif indiqué par Vitruve n'est pas très détaillé et les traités ultérieurs vont tenter d'y remédier afin de proposer tant aux architectes qu'aux tailleurs de pierre et sculpteurs, des tracés géométriques plus faciles à comprendre et à exécuter. La difficulté pour la volute ionique est en effet de déterminer les centres successifs de celle-ci, d'une manière qui soit tout à la fois rationnelle, aisée à tracer, et satisfaisante pour l'œil. Reportons-nous par exemple aux figures proposées par le traité de Vignole (1507-1573), que l'édition au format « de poche » par Le Muet en 1632, à Paris et en français, propulsa au rang de manuel par excellence des ouvriers et architectes.

Vignole propose deux dessins. Le premier (en fait, le second dans l'édition) est conforme à celui de Vitruve et au premier dessin relevé à Chambord :

Le second fournit une indication quant à la base du tracé constructif : c'est un carré dont les subdivisions internes, au nombre de 6 par côté, permettent de déterminer le déplacement des centres successifs des arcs de cercles dessinant les deux courbes formant la volute.

Cela correspond assez exactement à ce que l'on voit encore de la grille carrée au centre de la seconde volute de Chambord, construite elle-aussi sur la base d'un échiquier de 36 cases (toutes n'ont pas été complètement dessinées) et dont certaines intersections portent très nettement la trace de la pointe du compas. Je reproduis ci-dessous, en gros plan plus contrasté, le centre de ce graffiti.

Les hésitations et maladresses du dessin signifient, me semble-t-il, que nous sommes là face, non pas à une épure pour la réalisation d'un chapiteau ionique, mais à un croquis qu'un tailleur de pierre aura réalisé afin de solliciter sa mémoire quant au tracé exact à réaliser. Cela peut aussi être un croquis réalisé rapidement dans le tuffeau tendre pour montrer à un apprenti le principe du tracé de la volute ionique.

Ah, dit-on souvent, si les pierres pouvaient parler... Mais justement, elles parlent !

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