Les aubes écarlates de Léonora Miano

Par Sylvie

3e TOME DE "SUITE AFRICAINE"

Editions Plon, 2009

Après L'intérieur de la nuit et Contours du jour qui vient, Léonora Miano clôt sa suite africaine, magnifique tryptique sur le destin du continent africain, vibrant appel à son réveil, à un sursaut, retranscrit dans un combat poétique d'ombres et de lumières.
Comme dans ses deux précédents opus, Miano décrit une Afrique (un territoire imaginaire au sein du Cameroun) gangrenée par les ravages de la guerre civile. Epa est un enfant soldat qui a été enrôlé de force dans les troupes d'un dictateur mégalomane qui rêve de réaliser l'unité ethnique. Dans la forêt équatoriale, il entend des voix de mystérieuses femmes sans visage, des ombres enchaînées, qui l'exhortent à leur donner un nom et une sépulture.
Conscient de son devoir, Epa s'enfuit et est recueilli par les femmes de La Colombe, un centre qui accueille les enfants orphelins. Il racontera son périple à la jeune Ayané (l'héroïne de L'intérieur de la nuit) qui l'aide à reprendre goût à la vie ; il ira chercher dans la forêt ses compagnons d'infortune pour les rendre à leur famille.
Dans ce magnifique roman polyphonique, Léonora Miano explore les origines du malaise du continent africain. L'histoire est scandée de la voix des disparus sans sépultures qui ont recouvert d'un linceul le continent noir. Ces disparus sont les esclaves disparus en mer, expatriés sur d'autres continents, qui n'ont jamais été reconnus par le continent. Ivres de colère, ils ont plongé l'Afrique dans un marasme de honte et de sang, provoquant des guerres civiles.

Sankofa est le nom d'un oiseau mythique qui vole vers l'avant avec un oeuf dans son bec, en tournant la terre vers l'arrière. Il symbolise la croyance que le passé sert de guide pour préparer le futur’, ou encore ‘la sagesse qui permet de tirer les leçons du passé construit l’avenir’.
Miano pense que la crise africaine est d'abord psychologique et culturelle ; plutôt que de se poser en victime, le continent doit se penser par lui-même, reconnaître la traite négrière et l'esclavage comme éléments fondateurs de sa culture et non comme sujet de honte et d'infériorité. La traite négrière est vue comme premier phénomène de mondialisation qui a créé une culture panafricaine. Vibrant appel à la reconnaissance de ce passé, non honteux, mais fondateur d'une culture, ce livre est une exhortation à la reconnaissance de la mémoire noire pour préparer l'avenir.
Léonora Miano refuse toute victimisation car cela n'est facteur que d'épouvante, de peur. Au contraire, l'Africain est vu comme un passager du milieu qui s'ouvre à l'autre et qui crée un nouvel espace. Miano s'inspire du concept de créolisation cher à Edouard Glissant, l'interpénétration des cultures, le métissage culturel.
Loin de n'être qu'un roman à thèse, cet oeuvre est un texte littéraire très abouti : ce roman polyphonique mélange voix du présent et du passé grâce à des intermèdes prophétiques, incantatoires, qui donnent la parole aux esclaves en recherche de sépulture. Dans le présent, leur voix est incarnée par Epupa, réputée sorcière, femme tombée enceinte mystérieusement, qui, au cours de transes, retranscrit la voix des sacrifiés qui appellent à la réparation. Epupa est la voie de la réconciliation et de l'avenir ; ces litanies aux dimensions d'oracles seront la voie de la lumière et de la renaissance. Entre ces intermèdes poétiques, on entend clairement la voix de l'auteur qui expose sa thèse, comme dans un essai sur la mémire africaine. Entre les deux, vient la voix des personnages, celles du présent blessé, honteux.
Ce roman est aussi une magnifique déclinaison de couleurs, les aubes écarlates symbolise le sang, la blessure non reconnue. La  latérite, terre rouge africaine symbolise cette blessure, cette faille. Miano convoque les quatre éléments, le feu qui représente la guerre civile, la terre rouge, le sang, l'eau, le territoire de l'entre-deux où errent les âmes des défunts et l'air, les exhalaisons des morts.
Comme toujours dans les romans de Miano, l'auteur nous livre un beau clair-obscur, où la lumière renaît toujours des ombres...
" C'était une des plus tenaces manifestations de la honte.Elle continuait de creuser un abîme entre soi et le monde. Chasser la honte, c'était se faire obligation d'accepter ce qu'on était devenu, et qu'on peinait encore à définir. On refusait de se dire mêlé de colon et de colonisé, de négrier et de déporté, d'Occidental et de continental. Ce refus emp^pechait l'éclosion d'un être neuf, somme de toutes les douleurs et, en tant que tel, détenteur de possibles insoupçonnés. On tournait le dos à la responsabilité primordiale des humains : celle de valoriser leur propre existence. "
"Ils seraient désormais les habitants du milieu. Les résidents d'une frontière qui ne serait pas rupture, mais l'accolement permanent des mondes
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