Etude approfondie de Seesmic : le forum discussion audiovisuelle en ligne 2

Publié le 05 septembre 2009 par Powanono

ce stade de mon mémoire, le but était de comprendre Seesmic dans son intégralité. Au delà de la simple définition de la plateforme, j’avais besoin de comprendre dans quelle “zone médiatique” se situait Seesmic.

c) L’espace Internet

1. L’imaginaire d’Internet

Pour comprendre l’objet Seesmic, il faut, avant toute analyse, prendre en compte le contexte dans lequel il s’ancre. L’imaginaire d’Internet du sociologue Patrice Flichy est un formidable point d’appui pour le comprendre car l’auteur analyse les textes et discours qui ont menés à la constitution des représentations et des conceptions actuelles de cette technique. Nous pouvons dès lors placer ce dispositif sur l’échiquier Internet. Au contraire des « apologistes » (les technophiles) ou des « cassandres » (les technophobes), Flichy essaye d’étudier « l’esprit d’Internet » comme auparavant Boltanski et Chiapello l’ont fait pour le capitalisme[1]. Au-delà d’un passionnant panorama et classement de la littérature et de l’histoire constitutive d’Internet, cet ouvrage permet de décoder les différents courants idéologiques qui le traversent et qui transparaissent au travers d’Internet en général, Seesmic, en particulier.En se fondant sur Paul Ricoeur, P.Flichy ne conceptualise pas l’idéologie et l’utopie comme relevant de « fantasmagories » quelconques, mais plutôt comme des outils indispensables auxreprésentations et aux constructions d’une technique humaine. Ainsi, l’utopie permet d’ « explorer la gamme des possibles »[2] et l’idéologie rend possible de « fédérer des personnes autour d’un projet »[3]

2. Seesmic et l’idéologie Internet

Selon P.Flichy, Internet n’est donc pas une simple technique issue strictement d’une avancée scientifique mais a été aussi construite par des utopies et des idéologies qui l’entouraient. En suivant le livre de P.Flichy et en citant Manuel Castells nous pouvons dire qu’ « Internet est le produit d’une combinaison unique de stratégie militaire, de coopération scientifique et d’innovation contestataire »[4]. Seesmic axe son concept autour de l’utilité première d’Internet : la communication entre les personnes. Si cet aspect d’interaction communicationnelle s’impose avec évidence de nos jours, il convient cependant de préciser que les premiers réseaux n’avaient pas pour but premier la communication interpersonnelle. En effet, le premier réseau (Arpanet) mettait en commun les ressources scientifiques informatisées par la communication entre machines, de telle sorte que ce « modèle coopératif à la base de sa conception verra vite son modèle constitué le contenu même de l’usage »[5], se traduisant notamment par la surexploitation de la fonction « mail ». Cette sur-utilisation de cette fonction donnera lieu à la naissance de Usenet, première forme de forum de discussion, puis à l’arrivée d’un protocole commun et unifié : TCP/IP, conduira à Internet.

Seesmic s’ancre donc dans le contexte historique de développement. Celui-ci était imprégné à sa naissance par le monde social qui l’entourait, c’est-à-dire le monde universitaire américain caractérisé par l’ « échange entre des personnes ayant les mêmes intérêts ». Il s’agissait d’une « communauté d’égaux » dont « la coopération était centrale et au cœur de l’activité scientifique » puisqu’il s’agissait d’« un monde à part séparé de la société »[6]. Maintenant la communauté Internet, comme on peut la voir et la concevoir dans les forums de discussion, est principalement discursive et revendique souvent son caractère parfaitement démocratique. D’ailleurs chacun n’est-il pas sur le même pied d’égalité pouvant parler librement comme dans une agora athénienne ? Mais cette agora athénienne relève plus du fantasme que de la réalité. Les constatations faites par P.Flichy, au travers des différents auteurs comme Elizabeth Reid[7] et l’historien Mark Poster[8], balayent les représentations idylliques de la cyberdémocratie. Si Alvin Toffler[9] voit dans l’arrivée d’Internet, la révolution démocratique tant attendue mettant à mal le modèle politique traditionnel,Gingrish, politicien, lui pense Internet comme noyau de base de la démocratie. En contrepoint, E.Reid insiste sur le fait qu’Internet ne constitue en aucun cas une agora par essence. Les communautés ont du mal à élaborer les compromis nécessaires à une bonne autogestion du groupe. Elles comportent en leur sein des “batailles d’injures”. Elles accueillent malheureusement des stratégies perverses de la part des internautes comme les changements d’identités et d’avatar de la part de ses utilisateurs. La démocratie fixe les identités des intervenants dans un corps aussi physique que social  pour limiter et éviter l’usurpation, ce que ne peut réaliser la cyber-démocratie. Comme la question de l’identité est donc au cœur des enjeux démocratiques de l’Internet, Seesmic ne peut y échapper.

Seesmic, en fixant les identités grâce à l’audiovisuel, propose-t-il un dispositif plus démocratique que les précédents dispositifs Web ? Il semble que non si l’on se réfère aux remarques de Mark Poster[10] sur ce sujet. Il est effectivement plus difficile d’opérer des stratégies perverses sur Seesmic mais leurs absences ne sont pas une garantie d’un espace public démocratique. Car nous n’assistons pas sur Seesmic à un consensus que l’on est en droit d’attendre d’un débat démocratique mais plutôt à une simple démultiplication de points de vue de citoyen. En réalité, ce dispositif répondrait à une seule condition de l’espace public idéalisé qui serait de mettre tout le monde sur le même pied d’égalité. Plus tard dans le mémoire, nous contesterons aussi cette notion d’égalité.

Si Seesmic ne met pas en scène un espace virtuel comme peut le faire Second Life, il met néanmoins en place un système qui ne trouve pas d’équivalence dans la réalité de tous les jours. Par l’image et le son, sorte de simulation numérique, Seesmic essaye de reproduire les conditions de l’expérience sensorielle de la discussion. Assiste-t-on à un univers virtuel, qui remplace la réalité, comme décrit par Gibson dans son Neuromancien[11]? Si on suit les nombreuses études sémiologiques traitant du caractère ambigu de l’image, la réalité ne pourrait être reconstruite. Ce dispositif ne reproduirait pas le réel, mais créerait une illusion de celui-ci, une réalité plus artificielle que virtuelle. Il n’est pas possible de qualifier l’environnement de Seesmic de réalité virtuelle, ni d’un nouvel espace public révolutionnaire, thématique ô combien si prégnante lors de l’arrivée d’un média. L’ouvrage de P.Flichy met en garde contre les bégaiements de l’histoire[12] des théories médiatiques. D’où la nécessité de ne pas considérer l’objet Seesmic comme une révolution ou encore comme une menace, mais plutôt comme un objet médiatique au même titre qu’un autre, articulant ses propres mécanismes et se soumettant aux rêveries, mais aussi aux angoisses, caractéristiques des discours célébrant l’avènement d’un nouveau média.

L’imaginaire d’Internetindique que ce dispositif web est modelé par les différentes pensées et représentations qui le traversent et, permet aussi de comprendre le contexte Internet dans lequel il se situe. Encore en cours de modélisation économique, Seesmic est bercé par un courant du « tout gratuit » (Seesmic est un service gratuit) néanmoins soumis à des contraintes de rentabilité. Ces dernières font que le business model de Seesmic n’est pas encore établi de manière définitive. La plate-forme oscille entre une vision démocratique portée par l’idéologie de nouvel espace public, et une vision communautaire propre au modèle américain et aux origines d’Internet (communauté Universitaire, communauté militaire, communauté des hackers). Représentatif du développement de l’internet, Seesmic semble contenir en son sein ses imaginaires contradictoires.

Ainsi, après cette description succincte du contexte Internet, quelle est la place de l’internaute dans ce contexte si particulier ?

3. Cyborg@cyberespace : l’Internaute et l’Internet

Il existe deux conceptions de la machine observe la philosophe Dona Harraway[13], l’une où l’homme domine la machine et l’autre où la machine domine l’homme, vieilles conceptions perpétuellement alimentées par les peurs et les rêveries des différents acteurs. Refusant ce clivage classique, l’auteur remarque que la machine, résultat de la combinaison d’un imaginaire et d’une technique, nous construit autant qu’on la construit.

Il ne faut donc pas se limiter à refuser le terme « révolution » à propos d’Internet sans proposer un substitut. L’ouvrage de l’anthropologue David Hakken, cyborg@cyberespace, nous ouvre quelques pistes de réflexion. À contrario de concepts tels que « réalité virtuelle », « nouvelle communication » ou « nouvel espace public », l’auteur préfère celui de « cyborg ». Il est évident que même si le média ou pluri-média Internet ne change pas fondamentalement nos vies, il est de plus en plus présent dans celles-ci par le biais de nos téléphones portables, des points wifi en surabondance etc… Pour Hakken, l’homme serait un « cyborg », une sorte d’homme fusionné à la technique démultipliant ses capacités. Bien que fantasque et lexicalement ancrée dans le monde de la science-fiction, la notion de « cyborg » rejoint la conception aristotélicienne de la technique comme prolongement de la main de l’homme. Cette conception de l’homme « cyborg » a l’avantage d’éviter de penser Internet comme une cyber-réalité substitut de la réalité, en proposant une vision de l’Internet comme partie intégrante de la réalité. La conception « cyborg » rapportée àSeesmic permet donc de comprendre que la conversation qui se déroule dans le dispositif ne constitue pas une substitution à la conversation réelle. Elle permet de penser ce type de conversation comme faisant partie intégrante de la réalité de la personne.

A partir de cette redéfinition de Seesmic, comment constituer un corpus à partir de ce type de conversation ?


[1]BOLTANSKI, Luc - CHIAPELLO, Eve - Le nouvel esprit du capitalisme. - Paris : Gallimard, 1999. - 838p..

[2]FLICHY, Patrice - L’imaginaire d’Internet. - Paris : La Découverte, 2001. - 261p. (Coll. sciences et société).- p.14.

[3] Ibid., p.14.

[4]CASTELLS, Manuel - La société en réseaux. - Paris : Fayard, 1998. -671p..

[5]FLICHY P., op. cit. 2001.

[6]Ibid., p.55.

[7]REID, Elizabeth - « Dissolution and Fragmentation : Problems in On-line Communities ». - Cybersociety 2.0. - Chicago : SAGE Pulications inc., 1998. - pp.212-229.

[8]POSTER, Mark - The second media age. - Californie : Paperback, 1995. - 200p..

[9] TOFFLER, Alvin - Créer une nouvelle civilisation : la politique de la troisième vague. - Paris : Éditions Fayard, 1995. - 162p..

[10] POSTER M., op. cit., 1995.

[11]Œuvre fondatrice du mouvement cyberpunk, sous genre de la science-fiction, en littérature.

[12]« La lecture des discours qui ont accompagné la naissance des nouveaux moyens de communication donne parfois l’impression que l’histoire bégaie » Flichy P., op. cit., p.7.

[13]HARRAWAY - Donna Jeanne, Simians, Cyborgs, and women : the Reinvention of Nature. - New York : Routledge, 1991. - 312p..

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A partir de cette redéfinition de Seesmic, comment constituer un corpus à partir de ce type de conversation ? Nous le verrons dans le prochain billet .