Taxe carbone : halte à l’enfumage !

Publié le 23 octobre 2009 par Variae

Les Verts et Europe Ecologie auraient-ils gagné la bataille des idées, ainsi que celle des esprits ? Il ne se passe plus une semaine sans que de nouvelles défections en leur faveur ne soient annoncées avec tambours et trompettes, hier le socialiste Eric Loiselet, aujourd’hui le communiste Stéphane Gatignon. Nul doute que d’autres suivront, en un effet boule de neige dont il est encore difficile de savoir s’il tournera à nouveau, comme en juin dernier, à l’avalanche. En même temps, il est frappant de voir combien les thématiques portées par les écologistes s’imposent naturellement dans le débat et dans les esprits, devenant même des sortes d’évidences indiscutées (et indiscutables) en leur principe, évidences par rapport auxquelles chacun est appelé à se positionner. Eric Loiselet par exemple, expliquant la raison idéologique de son passage à l’écologie politique, indique la taxe carbone comme marqueur décisif pour sa décision de quitter le PS. Aurélie Filipetti aurait mis en avant le même argument pour expliquer son éloignement de Ségolène Royal. Je ne veux pas revenir ici sur les débats qui ont déjà eu lieu, à la rentrée, sur ce sujet, et qui revenaient grosso modo à discuter des modalités de la taxe (sur qui va-t-elle peser, comment va-t-on la compenser pour ne pas aggraver la situation financière des Français les plus démunis …), tout en esquivant la question de son bien-fondé idéologique. Il est remarquable que même celles et ceux qui en ont contesté l’existence – Ségolène Royal notamment – le faisaient en s’attaquant à l’inefficacité ou à l’injustice de ses modalités de mise en œuvre, sans pour autant interroger le principe même sur lequel elle repose.


La taxe carbone – ou « contribution climat-énergie » - repose sur un principe simple : celui de l’incitation au changement par l’augmentation du coût des pratiques visées. En l’occurrence, celles conduisant à une émission de CO2. Le raisonnement est semble-t-il imparable : en rendant ces pratiques financièrement insupportables, on va en détourner la population. Simple comme bonjour, et « moderne », puisque reposant sur l’incitation plutôt que sur l’obligation.

Les choses ne sont pourtant pas aussi simples. L’argument, tout d’abord, sous-entend la possibilité d’un libre choix, ce qui n’est pas le cas puisque, comme cela a été déjà souligné dans le débat français sur la taxe carbone, de nombreuses personnes n’ont pas d’autre choix que d’utiliser des moyens de transport polluants. Mais il y a plus encore. L’incitation reposant sur une augmentation du coût, elle peut également être lue comme une autorisation « sous condition de » – autrement dit, en l’occurrence, sous condition de revenus. Les Françaises et les Français pourront continuer à rouler en polluant à pleins gaz, si tant est qu’ils aient les moyens de payer. En clair, l’instauration de la taxe carbone est d’une certaine manière l’importation du système de vente de droits à polluer, au niveau de l’individu cette fois !

Une telle mesure est non seulement antisociale et inégalitaire (qui peut payer peut faire ce qu’il veut), mais elle est surtout en contradiction directe avec ce qui semble être la philosophie profonde des écologistes. Celle-ci repose en effet sur le constat d’un point de non-retour de la biosphère, menacée de destruction ou d’altérations funestes si le mode de vie des Hommes ne change pas tout de suite de façon draconienne. Alors de deux choses l’une. Soit cette analyse est scientifiquement fondée, et il faut en tirer sans attendre les conséquences politiques, en militant pour la mise en place d’outils législatifs durs – interdiction immédiate des comportements polluants, de certains types de moyens de transport par exemple – et non pour de simples mesures incitatives ou répulsives (taxation ou « droits de polluer »). Soit la situation n’est pas aussi grave ou irrémédiable – c’est ce que laisse entendre la défense d’une mesure de moyen ou long terme comme la taxation des comportements – et alors c’est une escroquerie politique pure et simple que d’utiliser des menaces catastrophistes, à grands renforts de films apocalyptiques, pour emporter les votes des électeurs.

Nul ne contestera la nécessité, pour les forces politiques contemporaines, de penser et d’intégrer la nécessité de revoir nos modèles de production et de consommation à l’aune des signaux d’alarme que nous envoient les sciences de la vie et de la terre sur l’état de notre planète. Mais il ne faudrait pas, dans le même mouvement, perdre la distance critique et la capacité d’interrogation des fondements idéologiques sans lesquelles toutes les manipulations sont possibles. Trop souvent l’écologie politique prend les accents du TINA thatchérien – « There Is No Alternative ». En s’y pliant, on accepte de s’engager sur une pente au bout de laquelle il n’y a plus de débat politique, sinon autour de nuances d’interprétation sur le programme des écologistes. Ce qui est tout de même un peu court pour la gauche en général – et les socialistes en particulier – qui feraient bien mieux de s’atteler, plutôt que de courir derrière leurs verts cousins, à concevoir un programme de transformation de l’appareil productif utilisant toutes les ressources de l’Etat, et ne se limitant pas à la très libérale mise en place d’un « marché de la pollution ».

Romain Pigenel