Une poupée à auschwitz

Publié le 23 octobre 2009 par Michelmi

Moshe Schulstein - Auschwitz

Sur un tas de cendre humaine une poupée est assise

C'est l'unique reliquat, l'unique trace de vie.

Toute seule elle est assise, orpheline de l'enfant

Comme autrefois elle l'était parmi ses jouets

Auprès du lit de l'enfant sur une petite table

Elle reste assise ainsi, sa crinoline défaite,

Avec ses grands yeux comme en ont toutes les poupées du monde

Qui du haut du tas de cendre ont un regard étonné

Et regardent comme font toutes les poupées du monde.

Pourtant tout est différent, leur étonnement diffère

De celui qu'ont dans les yeux toutes les poupées du monde

Un étrange étonnement qui appartient qu'à eux seuls

Car les yeux de la poupée sont l'unique paire d'yeux

Qui de tant et tant d'yeux subsiste encore en ce lieu,

Les seuls qui aient resurgi de ce tas de cendre humaine,

Seuls sont demeurés des yeux les yeux de cette poupée

Qui nous contemple à présent, vue éteinte sous la cendre,

Et jusqu'à ce qu'il nous soit terriblement difficile

De la regarder dans les yeux

Dans ses mains, il y a peu, l'enfant tenait la poupée,

Dans ses bras, il y a peu, la mère portait l'enfant,

La mère tenait l'enfant comme l'enfant la poupée,

Et se tenant tous les trois c'est à trois qu'ils succombèrent

Dans une chambre de mort, dans son enfer étouffant.

La mère, l'enfant, la poupée,

La poupée, l'enfant, la mère.

Parce qu'elle était poupée, la poupée eut de la chance.

Quel bonheur d'être poupée et de n'être pas enfant

Comme elle y était entrée elle est sortie de la chambre,

Mais l'enfant n'était plus là pour la serrer contre lui,

Comme pour serrer l'enfant il n'y avait plus de mère.

Alors elle est restée là, juchée sur un tas de cendre,

Et l'on dirait qu'alentour elle scrute et qu'elle cherche

Les mains, les petites mains qui voici peu la tenaient.

De la chambre de la mort la poupée est ressortie

Entièrement avec sa forme et son ossature,

Ressortie avec sa robe et avec ses tresses blondes.

Et avec ses grands yeux bleus qui tout pleins d'étonnement

Nous regardent dans les yeux, nous regardent, nous regardent.

Moshe Schulstein - Auschwitz