Projections (23) Texte en plusieurs parties publié par Arthur Vertrou

Publié le 25 octobre 2009 par Yiannis



Ca fait longtemps que tu ne t’es rien pardonné de tes faiblesses…

Tu voudrais être heureux et vivre comme ceux là que tu vois s’épanouir autour de toi.

Tu aimes ce qu’ils aiment, tu cours à perdre haleine dans une direction opposée à la tienne, sentant toujours à l’aine un point si fort qu’il te brise l’échine.

Alors tu cries à qui veut bien l’entendre que tu es écrivain et que ta vie commencera vraiment le jour où tu auras publié un bouquin.

Tu t’accroches à ça.

Tu crois dès lors que ta vie se justifiera, que tu n’auras plus rien à regretter, que de cette récompense à tes efforts s’élèvera un monde nouveau.

Dès lors !

Tu seras sûr de toi, tu n’auras ni besoin de boire ni de poursuivre Milena.

Pourtant…

Tu sais qu’écrire te fait mal, aussi.

Cette manière frénétique que tu as de t’y atteler.

Tu as renoncé souvent ces dernières années sans abandonner vraiment, comment pourrais-tu vivre, autrement.

Comment justifier cette vie de bohème à tes yeux.

Ces journées veuves à boire tes sarcasmes, à te bercer de l’illusion d’une reconnaissance future et d’une stabilité nouvelle.

Parfois, c’est vrai, tu ratures tout ça.

Tu vois dans l’art, comme dans l’alcool, les deux responsables de ta destruction. Mais ce n’est pas ça…

Il faut que tu panses ton rapport sans cesse inassouvi avec la vie !

Ce désir d’absolu qui t’habite et qui te pousse impérieusement à désirer toujours autre chose. A te fabriquer de nouvelles épreuves, de nouvelles sources d’écœurement et à ne jamais te satisfaire du chemin parcouru.

Regarde…

Tu es sur ton lit et tu réfléchis… tu te compares à un tel qui à 20 ans a déjà publié, tu l’envies et tu te remets en question… tu n’es plus sûr de rien et le vide s’avance… tu tends la main vers une canette de bière.

Le lendemain tu te relèves et fais une croix sur l’alcool… la littérature, ça ne dure pas… c’est plus fort que toi.

Alors vas-y, putain !

Si tu as besoin de ça pour l’instant, mais ne te détruit pas !

Dans ces moments, tu voudrais te reposer longtemps, ne plus courir comme un Icare ! Tu épluches le temps perdu. Tu songes à une femme, une autre que Milena ! Et à des choses simples. Un cadre de vie plus sain…

Et tu replonges !

Rêve ta vie noir sur blanc mais à chaque fois ces esquisses de toi-même n’ont rien de ressemblant.

Tu écris des refrains afin de refaire l’histoire ! Des mensonges pour laisser à ceux qui ne t’ont pas connu une belle peinture.

Tu n’envisages pas encore de concilier l’écriture à une autre activité professionnelle.

Tu n’es pas de ceux-là !

Noir ou Blanc !

Il t’est insupportable encore d’emprunter le chemin escarpé vers le métier d’écrivain.

Tu veux la Gloire, et ce, du jour au lendemain. Par un de ces magnifiques hasards qui jalonnent la route des grandes destinées.

Tu t’imagines reconnu soudain ! De tous… te pâmant sous les feux des projecteurs… méprisant celles qui t’ont quitté !

Tu crois encore aux contes.

Tu voudrais comme un de ces fantômes de la Nouvelle Star, jaillir au grand jour, à la manière d’un champignon !

Alors, insatisfait de ton quotidien tu ne vis pas.

Tu te projettes !

Les soirs d’ivresse et d’angoisse tu en veux à la terre entière de n’avoir pas la vie que tu mérites. D’autres fois, au contraire, le cœur battant, tu es certain que les choses vont bouger ! Tu attends de l’exceptionnel !

Mais rien ne va assez vite à ton goût…

Tu tournes, vire, te débats et envoie à des maisons d’édition convulsivement une dizaine d’exemplaires d’un recueil tellement remâché qu’il te donne envie de vomir.

Tu ne songes pas le moins du monde que tu as un problème.

Poésie, théâtre, roman, chanson, tu lances mille et un projet sans les achever, tu y concentres tellement d’énergie, qu’à chaque fois tu t’y casses les dents avant de replonger dans un état léthargique.

Chacun de tes espoirs déçus te semble un échec. Les réponses des éditeurs blessent ton orgueil. Tu crois passer outre mais ça te rattrape aux heures avancées de la nuit et tu regardes jalousement ceux qui autour de toi réussissent leur vie.

Tu as hontes, tu es seul.

Tu n’as rien à quoi te raccrocher et de quoi justifier tes choix de vie. Tu prends des risques insensés avec pour seule croyance ta foi en ce qui n’existe pas encore. Tu le traînes ce statut d’écrivain et il te donne mal au ventre.

Et te voilà pour la première fois confronté au monde des adultes. Toi qui te juges avec sévérité, écoute, regarde, il faut bien de la force pour continuer.

Tu avances et tu ne t’en rends pas compte, tu avances sur des détails, la présentation de tes ouvrages, ton élocution, ta connaissance du monde de l’édition. Tu avances mais tu n’es pas prêt.

Il faut que tu combles encore bien des carences.

Comme Milena, tu as trop rêvé, bâti ton éducation, ton rapport à la vie à travers des contes pour enfants, des livres poussiéreux, les fables médiatiques et pire les on dit.

Comment en pourrait-il être autrement ?

Comment se faire une idée par sa propre expérience d’un corps de métier, d’un groupe humain, sans l’avoir pénétré.

Tu es fragile.

Tu crois tout ce qu’on te dit.

Voilà 3 ans tu as débarqué dans le paysage culturel comme un aveugle dans un cinéma.

Tu ne t’es douté de rien… des difficultés atroces, du mépris.

Tu n’étais qu’un enfant arrogant et nerveux, certain de réussir et avec pour seul C.V, l’éloge de quelques proches sur des œuvres lyriques.

Bien sûr, tu t’en es pris plein la gueule, mais pense-y souvent, dans ce cadre de vie artistique, n’as-tu pas eu l’impression d’enfin exister ?