Aides de l’Etat aux banques : mécanismes actuels et enjeux à venir

Publié le 27 octobre 2009 par Sia Conseil

En dépit des résultats annuels publiés par certaines banques françaises au titre de l’année 2008, à l’image des Groupes Crédit Agricole, Société Générale ou encore BNP Paribas (respectivement 1, 2 et 3 milliards d’euros de bénéfice net), l’aide financière de l’Etat destinée aux

principaux établissements du paysage bancaire français s’est avérée indispensable dans un contexte de crise caractérisé par l’assèchement des liquidités sur le marché interbancaire. Ces établissements ont ainsi eu recours au plan d’aide mis sur pied par la loi de finances rectificative pour le financement de l’économie du 16 octobre 2008. Celui-ci a permis à l’Etat de consentir à treize établissements bancaires français des « prêts SFEF » dont le total devrait atteindre 93 milliards d’euros fin 2009[1]. Six d’entre eux (Société générale, BNP Paribas, Crédit agricole, Banques populaires, Caisses d’Epargne, Crédit mutuel) ont également bénéficié d’un plan de renforcement des fonds propres.
Un dispositif d’aide ad-hoc…

Afin de bien comprendre les enjeux inhérents à ces aides, revenons au préalable sur les mécanismes sous-jacents. La Société de Financement de l’Economie Française[2] (SFEF), créée à l’automne 2008 et détenue conjointement par l’Etat français (34%) et sept établissements bancaires français (9,43% chacun), ainsi que la Société de Prise de Participation de l’Etat (SPPE) jouent un rôle central dans le dispositif d’aide.

Pour se financer, la SFEF place sur les marchés des emprunts garantis par l’Etat français et de facto caractérisés par des coupons relativement faibles, de l’ordre de 3,5%, compte-tenu du risque limité de défaillance de l’Etat. Les sommes collectées sont ensuite prêtées aux banques pour une durée de un à cinq ans, moyennant une rémunération proche de 4%. Par ailleurs, l’entité dispose jusqu’au 31 décembre 2009 d’une garantie de l’Etat sur le remboursement de ses emprunts, plafonnée à 265 milliards d’euros. Cette garantie est facturée aux établissements de crédits, son coût variant selon la prime de risque caractérisant chaque banque.

Quant à la SPPE, elle a contribué à renforcer les fonds propres des banques à travers une première tranche de recapitalisation de 10,5 milliards d’euros en décembre 2008 puis une seconde enveloppe de 13 milliards d’euros, disponible dès mai 2009 et partiellement sollicitée par les banques. Pour cela, l’Etat a acheté les titres super-subordonnés (TSSDI), autrement dit des obligations à durée indéterminée entraînant une rémunération perpétuelle, émis par six établissements français (cinq après la fusion des Banques Populaires et Caisses d’Epargne) et rémunérés à hauteur de 8,2%, et souscrit des actions de préférence sans droit de vote (cf. bilan des aides de la SPPE ci-dessous). La SPPE disposant également d’une garantie de l’Etat à hauteur de 39 milliards d’euros pour lever des financements sur les marchés, elle est encore en mesure d’apporter des fonds propres aux établissements bancaires en cas de besoin.

Bilan des fonds propres apportés via la SPPE :

Établissement Forme(s) d’aide Montant
(mds d’euros)

BNP Paribas Souscription par l’Etat d’actions de préférence sans droit de vote 5,1[3]

BPCE Souscription par l’Etat de titres de dette super-subordonnés 4

Souscription par l’Etat d’actions de préférence sans droit de vote 3

Crédit Agricole SA Souscription par l’Etat de titres de dette super-subordonnés 3

Crédit Mutuel Souscription par l’Etat de titres de dette super-subordonnés 1,036

Société Générale Souscription par l’Etat de titres de dette super-subordonnés 1,7

Souscription par l’Etat d’actions de préférence sans droit de vote 1,7


…avec des objectifs clairement affichés

Dans un contexte de crise financière, l’Etat a essentiellement mis en place ce dispositif d’aide afin de

  • relancer l’activité économique via l’injection de liquidités dans les banques, celles-ci s’engageant en échange à maintenir un rythme de 3 à 4% de progression annuelle de leur encours de crédits aux ménages, professionnels et entreprises (dont les PME et collectivités locales en priorité),
  • permettre aux banques françaises de rassurer sur leur solvabilité en améliorant notamment leurs ratios de fonds propres et les mettre en position d’anticiper d’éventuels problèmes à venir.

Du point de vue des banques, ces aides ont pu être sollicitées à des fins différentes selon l’établissement. Pour preuve, elles ont permis à BNP Paribas de renforcer ses fonds propres en vue du rachat de Fortis Banque tandis que dans la configuration des Groupes Caisses d’Epargne et Banques Populaires, ces aides ont été utilisées pour faire face aux pertes significatives de leur filiale commune Natixis.

Il n’en reste pas moins que l’aide de l’Etat peut représenter un coût non négligeable pour les banques, pouvant justifier l’hésitation affichée par certaines d’entre elles quant au recours à la totalité de ces aides. Les banques devront en effet s’acquitter des :

  • Intérêts liés aux prêts SFEF, parallèlement au remboursement du capital restant du à l’Etat : fin janvier 2009, la SFEF avait prêté 23 milliards d’euros et reçu 380 millions d’euros au titre de ces intérêts, auxquels il faut ajouter une facture correspondant à la garantie de l’Etat. Dans le contexte récent de raréfaction des liquidités et de hausse de leur coût sur le marché interbancaire, ces conditions de rémunération restent toutefois favorables aux établissements financiers.
  • Coûts des titres émis dans le cadre du plan de recapitalisation : fin 2009, l’Etat devrait engranger 730 millions d’euros au titre de la rémunération des TSS[4]. Ce montant devrait être similaire voire supérieur en ce qui concerne les actions de préférence, celles-ci pouvant s’accompagner d’une rémunération supplémentaire si les banques ayant émis ces actions décident de verser des dividendes à leurs actionnaires. Dans le cas de BNP Paribas par exemple, le soutien de l’Etat via l’achat d’actions de préférence rémunérées à 7,65 % en 2009 pourrait s’avérer onéreux, d’autant que ce taux doit augmenter d’un quart de point par an jusqu’en 2014. La banque a d’ailleurs estimé le remboursement de l’opération entre 5,6 et 8,1 milliards d’euros.

Le remboursement des aides, un enjeu devenu critique

Bien que ces aides permettent aux banques de respirer dans un contexte encore difficile, elles pèsent et pourraient peser davantage à l’avenir sur leur rentabilité au vu de l’importance des intérêts déjà payés et à venir. Néanmoins, leur coût ne saurait justifier à lui seul la volonté des banques de rembourser l’Etat rapidement. En effet, on peut également imaginer qu’une course au remboursement s’engage entre banques dans le sens où les premières à rembourser communiqueront implicitement sur leur solidité et se retrouveront ainsi en position de force sur le marché (accès à des liquidités moins coûteuses compte-tenu de la prime de risque diminuée de la banque, confiance accrue des actionnaires…).

Autre motif de remboursement anticipé, la volonté de réduire toute dépendance vis-à-vis de l’Etat et des contreparties qu’il demande en échange des aides. Les établissements bancaires se sont en effet engagés à suivre un code « éthique ». Celui-ci, dont la bonne application est contrôlée par la Commission Bancaire, vise notamment à encadrer la rémunération variable des opérateurs de marché. Outre l’interdiction des bonus garantis au-delà d’un an, il est demandé à ce que leur versement soit davantage étalé dans le temps afin de tenir compte des résultats à plus long-terme et ainsi d’éviter des prises de risques considérables à court-terme. Dès lors, en remboursant les aides de l’Etat, les établissements financiers pourraient disposer d’une plus grande liberté dans l’adaptation de leur politique de rémunération, en particulier vis-à-vis des cadres dirigeants et opérateurs de marché qu’elles souhaitent impérativement conserver.

Dans cette optique, plusieurs banques françaises recommencent à émettre de la dette sans passer par la garantie de l’Etat et ne semblent par ailleurs pas résolues à solliciter de nouveau la SPPE. Néanmoins, la difficulté actuelle d’émettre des titres à un taux plus compétitif que celui des TSS ou actions souscrites par l’Etat semble indiquer que leur rachat par les banques devrait prendre du temps. La seule certitude que l’on peut avoir à l’heure actuelle, c’est que la rapidité et les modalités de remboursement des aides constitueront à n’en pas douter une véritable composante de la stratégie des banques de l’après-crise.

Sia Conseil