Pierre Michon, auteur majuscule, Grand prix du roman de l'Académie française

Par Pmalgachie @pmalgachie
L'Académie française n'a pas manqué l'occasion de s'approprier, le temps de son Grand prix du roman attribué cet après-midi, un écrivain devenu un de nos classiques contemporains depuis la publication de son premier livre, Vies minuscules, il y a un quart de siècle. Les Onze, paru en avril, ne ressemble à rien d'autre qu'à un autre livre de Pierre Michon. Un écrivain au sens le plus fort du terme, pour qui le travail sur la langue semble précéder le choix d'un sujet, et jusqu'au traitement de celui-ci, dans une perspective où les mots disputent aux images le pouvoir d'évoquer un monde.
Avant d'aller plus loin, je préfère avertir les lecteurs tièdes, ceux qui cherchent dans un livre la distraction apportée par une histoire qui ronronne doucement: Les Onze n'est pas pour vous. Ce soir, regardez plutôt la télévision, vous y trouverez bien un programme qui ne vous empêchera pas de vous assoupir sur le canapé.
En revanche, si vous êtes prêt à la grande aventure de phrases qui vous emportent là où vous ne pensiez jamais aller, parce que le vocabulaire fait une musique inattendue, laissez-vous porter, vous ne le regretterez pas.
Ceci étant dit, de quoi est-il question? D'un tableau sur lequel se trouvent représentés les onze membres du Comité de salut public de l'an II. De la Terreur, avec majuscule, et de la terreur, minuscule, qui aiguise les regards. D'un peintre qui prit la commande, François-Elie Corentin, et de sa famille. Du Limousin. De Michelet, historiographe doté d'une imagination telle qu'elle influence son récit en fonction de ce qu'il croit. De vérité et de mensonge. De littérature et de peinture.
Le tableau des Onze ressemble à une conspiration. L'époque s'y prêtait, à travers des luttes sournoises pour le pouvoir, au nom d'un peuple qui n'en demandait pas tant.
Pierre Michon s'engage, mine de rien, en démontant une mécanique qui permet, au lieu d'une république, "le retour du tyran global".
Un livre à lire lentement, au rythme de phrases parfois interminables mais qui nous mènent, sous l'apostrophe du narrateur, là où veut nous mener l'auteur.
Mais un livre à lire absolument.
Extrait
Et que dois-je peindre ? dit-il. Cette fois il regarda Proli franchement, comme si Proli était un laquais. Proli le regardait de même. Celui-ci lâcha d’une voix flûtée et aiguisée, qui ressembla un instant à celle de Robespierre :
— Tu sais peindre les dieux et les héros, citoyen peintre ? C’est une assemblée de héros que nous te demandons. Peins-les comme des dieux ou des monstres, ou même comme des hommes, si le cœur t’en dit. Peins Le Grand Comité de l’an II. Le Comité de salut public. Fais-en ce que tu veux : des saints, des tyrans, des larrons, des princes. Mais mets-les tous ensemble, en bonne séance fraternelle, comme des frères.
Il y eut un silence. Le feu était mort, la lumière seule de la grande lanterne carrée tombait d’aplomb sur l’or répandu à la place exactement où reposaient tout à l’heure les vieux os. Les visages étaient dans l’ombre. Soudain de l’autre côté du mur dans l’église Saint-Nicolas un cheval invisible s’ébroua violemment et s’enleva des quatre fers, on entendit les sabots retomber comme des marteaux sur le pavé vide du vaisseau vide ; il poussait à pleins naseaux un cri de trompette. On aurait dit qu’il riait. Ils rirent aussi tous les quatre. Corentin riant toujours se leva et remit posément les pièces d’or dans le sac, en boucla le lacet, le prit. Il dit que c’était oui.