Retour sur la rencontre avec Terry Gilliam

Par Jango

Terry Gilliam était une partie de la semaine dans notre belle capitale. Conférence de presse, Master Class et autre était au programme à l’occasion de la promotion de son dernier film, l’Imaginarium du Docteur Parnassus. Grâce à Allociné, un petite vingtaine de bloggers ont pu participer jeudi à un après-midi un peu privilégié puisque à 13h, le film était projeté et était suivi d’une rencontre de plus d’une heure avec le célèbre réalisateur.
Ma critique du film paraitra cette semaine mais en attendant, voici mon compte rendu de ce moment cher à tout cinéphile qui se respecte. Je pense qu’Allociné diffusera bientôt la vidéo de cette Master Class, l’article sera updaté lorsque ce sera le cas.
Synopsis de L'imaginarium du Docteur Parnassus :
Avec sa troupe de théâtre ambulant, " l'Imaginarium ", le Docteur Parnassus offre au public l'opportunité unique d'entrer dans leur univers d'imaginations et de merveilles en passant à travers un miroir magique. Mais le Dr Parnassus cache un terrible secret. Mille ans plus tôt, ne résistant pas à son penchant pour le jeu, il parie avec le diable, Mr Nick, et gagne l'immortalité. Plus tard, rencontrant enfin l'amour, le Docteur Parnassus traite de nouveau avec le diable et échange son immortalité contre la jeunesse. A une condition : le jour où sa fille aura seize ans, elle deviendra la propriété de Mr Nick. Maintenant, il est l'heure de payer le prix... Pour sauver sa fille, il se lance dans une course contre le temps, entraînant avec lui une ribambelle de personnages extraordinaires, avec la ferme intention de réparer ses erreurs du passé une bonne fois pour toutes...

Sachant que l’ami Cloneweb a mis en ligne son compte-rendu exhaustif de la rencontre et que je n’ai rien à ajouter si ce n’est les photos, je vous propose, avec son accord bien entendu, les réponses du maître données à l’audience particulièrement captivée.
Notez que Cloneweb a également déjà mis en ligne sa critique (positive) du film à lire ici.

Quelles ont été vos influences à l’intérieur du miroir ? De quoi vous êtes-vous inspiré pour créer l’univers visuel ?
68 ans de vie. De journaux, de radio, de télévision, de culture. J’absorbe beaucoup. Pour ce film, je voulais juste m’amuser, revenir à des choses que j’aime.
L’idée de départ, c’était de montrer une sorte de vieux théatre d’inspiration antique dans une ville moderne. On vit dans un monde magnifique mais on est entouré de Playstations, de téléphones portables, on n’est finalement pas trop dans l’imaginaire. C’était le point de départ.
Il y a beaucoup de références au théatre, au cinéma à la peinture dans le film. Il n’y a pas une seule idée originale ! (il éclate de rire).
J’aime faire des films où les gens peuvent découvrir des univers avec des yeux neufs, pour qu’ils se sentent embarqués dans une expérience nouvelle.

Vous et le personnage du Docteur êtes plutôt des explorateurs de l’imaginaire. Quelle est la part de Parnassus en vous ?
Parnassus a meilleure allure que moi (rire). C’est un meilleur acteur, il possède également un chouette petit théâtre que je n’ai pas. Nous sommes juste deux créatifs.
Ici, avec l’Imaginarium, j’avais un prétexte pour faire ce que je voulais sans avoir à m’en excuser (il éclate encore de rire).

Est ce que l’histoire prévue avant le décès d’Heath Ledger était la même que celle qu’on a vue ?
(Interrompant). Non, l’histoire est rigoureusement la même. On n’a rien changé du tout, pas même les dialogues, sauf peut-être quelques petits détails. Quand le personnage de Tony, alors interprété par Jude Law, raconte l’histoire de l’argent volé aux Russes, cette scène-là aurait dû se dérouler dans le monde réel. Heath Ledger n’étant plus là, on l’a faite de l’autre coté du miroir. On a également retouché le magazine où on voit la photo de Colin (Farrell), c’est normalement Heath qui aurait dû y apparaitre.

Pourtant, on a l’impression que le changement d’acteur, et donc de visage du personnage, a une part importante dans l’histoire…
Jude, Colin et Johnny jouent tous les trois une facette différente du personnage. Donc en un sens, c’est différent, oui. Ca peut paraitre plus fun, ou plus dramatique à la fin mais c’est pourtant bien l’histoire prévue dès le début.

Justement, comment avez-vous réparti les rôles entre les acteurs ?
Johnny (Depp), d’abord, s’est montré immédiatement disponible. Il m’a dit qu’il serait là quoique je fasse. Ensuite, quand on a décidé qu’il fallait trois acteurs, j’ai passé quelques coups de fils à des amis de Heath Ledger. Certains étaient disponibles, d’autres travaillaient. Colin et Jude étaient des amis proches et ils étaient capables d’organiser leurs emplois du temps respectifs pour venir tourner.
Il a juste fallu ensuite choisir l’ordre dans lequel les faire passer. On a commencé par Johnny parce que c’est un excellent acteur, sans doute le meilleur pour reprendre le rôle de quelqu’un d’autre.
J’avais aussi déjà parlé à Jude Law avant qu’il soit impliqué dans le film. On avait fait un livre sur le film pour récolter de l’argent pour le tournage et sur l’une des peintures -la scène avec les échelles- c’était Jude ! Il devait donc jouer cette partie-là.
Quand à Colin, il a eu la partie méchante à jouer, la partie la plus difficile. Johnny joue donc la partie « charmante » du personnage, Jude la partie « énergique » et Colin est donc celui qui fait de mauvaises choses…

C’est la deuxième fois que je vois le film. J’ai beaucoup aimé la première fois mais la seconde était encore meilleure. Ma question est la suivante : je voulais connaitre la signification de la flute dans le film.
Ce que vous dites est intéressant ! C’est effectivement mieux la deuxième fois (rire). La deuxième fois, on se détend, on comprend mieux.
La flute est utilisée au 19e siècle pendant les pendaisons. A cette époque, on ne brisait pas les cous. Alors avec une pipe dans la gorge, le pendu perdait juste conscience au lieu de mourir et pouvait donc s’en sortir. Ce n’est donc pas un objet magique, c’est très pragmatique.

Ma question tourne autour du personnage de Percy, incarné par Verne Troyer. On a l’impression qu’il accompagne le Docteur depuis longtemps mais on ne sait pas grand chose de lui. Que représente-t-il et est-il lui aussi immortel ?
C’est Jiminy Cricket de Pinocchio. Il est la conscience de Parnassus. Il est la partie cynique du personnage aussi, celui qui pose les vraies questions. J’aime bien aussi l’idée que quelque part ce soir Percy qui soit le patron et Parnassus un peu l’exécutant.

Pourquoi avoir choisi Tom Waits pour jouer le Diable ?
Qui d’autre pouvait avoir le rôle ? J’ai dit un jour qu’il écrivait des chansons pour des anges mais qu’il les chantait avec la voix de Belzébuth. Sa musique est si belle et sa voix si sombre… On devrait faire un CD pour que les gens se détendent avec sa voix. (Gilliam prend une grosse voix et parle doucement, imitant Tom Waits).

Est-ce qu’il a été difficile à convaincre ?
Voici ce qui s’est passé. Un animateur hollandais avait un projet qui nécessitait la voix de Tom Waits. Il m’a donc demandé d’approcher le chanteur. Tom ne voulait pas le faire mais il m’a répondu : « si tu as autre chose pour moi, je suis preneur ». Je lui ai alors proposé le rôle du Diable. Il a accepté sans lire le script !
Je connaissais Tom, on a travaillé ensemble sur Le Roi Pecheur mais j’ai vraiment aimé qu’il accepte sans lire l’histoire.

Vous avez connu des difficultés pour monter vos films. Où trouvez-vous la force de faire le film suivant ? Avez-vous dû faire des sacrifices ?
Chaque film est un compromis, entre l’idée énorme de départ et le budget. Mais je pense que j’ai le plus beau métier du monde. Mais il n’y a rien de mieux que de faire un bon film, que de travailler avec une bonne équipe. Il y a tout dans un film finalement : de l’art, de la danse, de la musique.
Lorsqu’on commence un projet il faut le venir. L’idéal, c’est de s’entourer de gens encore plus forts que vous pour vous relever quand il faut. C’est un travail de groupe et j’aime ça. Ca me rappelle les Monty Pythons.
Finalement, faire des films est la meilleure chose qui me soit arrivée avec les Monty Pythons.

En ce qui concerne les effets spéciaux et les visuels de l’Imaginarium, est-ce que vous avez une idée précise de ce que vous voulez faire ou est-ce que vous vous contentez de donner une ligne de conduite ?
Ces effets visuels, c’est un peu la suite logique de ce que je faisais dans l’animation. J’ai ma propre société d’effets spéciaux et je suis très présent, je donne beaucoup de références et de conseils. Mais ce n’est malheureusement pas ILM (rires).

Il y a une dimension spirituelle dans tous vos films et en particulier dans Parnassus, à plusieurs niveaux. Est-ce une manière de montrer au public votre vision de la spiritualité ?
Oui (il éclate de rire). Chacun voit le monde avec ses propres yeux, sa propre imagination. Je voulais que les gens regardent autour d’eux sans être guidés par ce qu’on peut leur montrer dans les médias.

La bataille entre le bien et le mal dans votre film est particulière. C’était votre vision ?
J’ai voulu quelque chose de puissant. Je ne voulais pas montrer un dieu qui guide les gens mais quelqu’un qui leur dise : « regardez, ce sont vos problèmes maintenant, débrouillez avec ». De la même manière, le Diable représente là où les gens ont échoué, c’est tout.

Est ce que Lily Cole était votre premier choix pour Valentina ?
Oui, je voulais quelqu’un au physique particulier pour le personnage de la fille de Parnassus. Lily est très jolie, elle a un visage comme une poupée en porcelaine et un corps de mannequin. Quand on s’est rencontré, elle n’avait presque aucune expérience mais était intelligente, pas mauvaise… C’était potentiellement mon plus gros risque dans ce film mais elle était entourée d’excellents acteurs. Elle est finalement très bonne dans le film. J’ai beaucoup aimé lui donner une opportunité d’apprendre et de devenir quelqu’un de connu. Ca m’a rappellé Bandit Bandit (il cite le titre du film en français). J’espère qu’on la verra souvent.
Mais tout le casting est très bon. Andrew Garfield mérite une grande carrière. Et personne n’avait jamais donné à Verne Troyer de rôle dramatique. Jusque là, il jouait surtout des « mini-moi ».

J’aurai aimé connaitre les réalisateurs qui vous ont inspiré et donné envie de faire du cinéma ?
Beaucoup trop. La liste est très longue. Ca a commencé d’abord avec Walt Disney, Pinocchio, Blanche-Neige. Puis des gens comme Jerry Lewis ou Dean Martin. Puis de grands cinéastes comme Godard, Fellini ou Kubrick.
Plus récemment, j’ai découvert les films de Stanley Donen, qui a fait Chantons Sous La Pluie.

D’où vous vient cette fascination pour les contes de fées ?
Je pense que les vrais contes de fées sont les écrits qui m’ont le plus inspiré. Certains sont très ancrés dans le réel, sombres, magnifiques.
Quand j’étais enfant, j’en ai lu beaucoup. Après voir fini Tideland, j’ai relu Alice aux Pays des Merveilles. C’est un livre terrifiant (il fait une grimace). Et puis j’ai appris que Tim Burton allait en faire un film. C’est injuste ! (rire).

Le personnage de Tony a des marques sur le front. Que veulent-elles dire ?
Je ne sais pas vraiment. Il y a beaucoup de mystères dans ce film. Elles ont peut-être un sens, peut-être pas.

On parlait inspiration. Moi j’ai surtout pensé à Georges Meliès en voyant le film…
Meliès a été une source d’inspiration. Il y a d’ailleurs quelque chose que j’ai appris aujourd’hui : à la fin du film, on voit Parnassus vendre des petits théatres était un hommage involontaire à Méliès qui a fini sa vie en vendant des jouets devant … la gare Mont-Parnasse. C’est extraordinaire, et je ne le savais même pas.

Vous avez travaillé sur des adaptations et des scénarios originaux. Quel sera votre prochain projet ? Et est ce que vous reviendrez à l’animation ?
Brazil était mon dernier film totalement original que j’ai écris. Puis j’ai travaillé sur des histoires d’autres gens, comme l’Armée des Douze Singes. C’est une vision différente quand on écrit pas, on est finalement alors qu’un éditeur de film. Quelque part, j’ai aimé faire ça.
Mais sur Parnassus, je voulais tout faire moi-même, inventer la structure, rassembler mes idées. Je ne suis pas intéressé par les choses trop simples, je pense pourtant que les gens y sont trop habitués. Ils sont aussi habitué à un rythme particulier (il fait alors le bruit d’une action en accéléré, d’une explosion puis d’un ralenti et recommence). Mais la forme est toujours la même, comme une chanson pop.
Mes films n’ont pas cette structure trop simple. Ce sont des voyages étranges. J’aime faire des choses que les autres cinéastes ne font pas.
Le prochain projet est une réécriture d’un script original : L’Homme Qui Tua Don Quichotte. Le rêve serait de tourner au printemps, même si la réalité pourrait être différente. Le casting ne sera cependant pas le même : pas de Jonny Depp, il fait trop de films de pirates (rires).
J’ai trouvé qui sera Don Quichotte. Ce ne sera plus Jean Rochefort mais je ne peux pas vous dire qui il sera pour le moment. On a encore du chemin à faire.
Et pour vous répondre, je reviendrai à l’animation si Pixar m’offre un boulot.

A propos d’adaptation, pouvez-vous nous dire jusqu’où vous étiez allé dans votre projet d’adapter Watchmen au cinéma. Et qu’avez-vous pensé du film de Zach Snyder ?
Le film (de Snyder) était visuellement parfait mais il souffrait d’un problème de rythme. Quand j’ai essayé de l’adapter, j’ai été confronté au même problème. 1h30, c’est trop court pour l’histoire. On doit faire trop de compromis. A l’origine, j’avais suggéré une mini-série en 5 parties. Watchmen, c’est à la fois trop court et trop long.
Et puis il y a le problème de la retranscription à l’image, de rythme. Dans la bande dessinée (il le dit en français), quand la tombe du Comédien s’enfonce dans le sol, ce sont trois cases (il mime les trois cases sur une planche). Au cinéma, on verrait la tombe descendre (il imite le bruit d’un élévateur). C’est un rythme de différent.
(S’écriant et interrompant la traductrice). Rorschach était très bien ! J’ai beaucoup aimé Rorschach !

A part Don Quichotte, est-ce qu’il y a un ancien projet que vous aimeriez monter un jour ?
(se tournant en riant vers Samuel Hadida, producteur). Hello Sam !
Il y a plusieurs projets. J’aimerai beaucoup faire De Bons Présages [Good Omens, d'après le roman co-écrit par Terry Pratchett et Neil Gaiman].

A propos de Don Quichotte… Vous ne voulez rien dire sur le casting mais pouvez-vous au moins nous dire si vous en avez discuté avec Michael Palin [Michael Palin, des Monty Python, pourrait être un candidat potentiel pour le rôle principal] ?
(Gilliam n’attend pas la traduction). C’est une rumeur diffusée sur Internet. Je ne sais pas d’où ça vient. C’était un peu embarrassant parce que Michael a cru que je pensais à lui (rire).

Est-ce que vous avez montré Docteur Parnassus aux autres Monty Pythons. Il y a une scène qui fait beaucoup penser à eux dans le film.
Terry Jones a vu le film oui. Mike et John ne l’ont pas encore vu.

Vous avez parlé de De Bons Présages. Est-ce que vous avez un casting rêvé à l’esprit ?
J’ai bien peur que ça soit encore un film avec Johnny Depp. On verra mais il ferait un excellent Satan.
Malheureusement, je pense que Johnny va faire des films à gros budgets à Hollywood pendant encore quelques années.

Est-ce que vous avez vu Le Vilain, le prochain film d’Albert Dupontel avec lequel vous avez tourné ?
Je l’ai vu oui. C’est vraiment très bien. Il mérite mon soutien. J’aime beaucoup Dupontel, il met tellement d’intelligence et de motivation dans ses films. Le film est très doux et vraiment bien.

Vous êtes particulièrement lié à Johnny Depp. Je voulais donc savoir quelle était la nature de votre relation. Est-ce que vous parlez de tous vos projets avec lui ? Et est-ce que Vanessa n’est pas trop jalouse ?
Vanessa ne me laisse plus rentrer dans leur maison (rires). Johnny a toutes les qualités que j’aime. Il est rapide, intelligent, drole, il a des qualités uniques. Il devrait faire des films plus importants comme les miens plutôt que des films de pirates. Mais comment résister à l’argent qu’Hollywood lui propose ?

Si vous n’aviez qu’un de vos films à garder, lequel ce serait ?
Je ne peux pas répondre. Ce serait comme me demander de choisir un de mes enfants. Je ne sais pas.
De toutes façons, je ne regarde jamais mes films. C’est vrai ! (en français)

Alors quel film avez-vous préféré tourner ?
Tideland.

Je vous invite également à consultez les comptes-rendu/critiques de quelques amis bloggers :
Sandra (In the Mood For Cinema)
Camille (Cinemaniac)
Rob Gordon (critique du film)
Voilà donc les détails de cette rencontre Ô combien intéressante. En fin de course, ce grand monsieur s'est en plus livré à la traditionnelle (mais agitée cette fois) séance de dédicaces. Merci à lui, merci à Allociné et merci à Cloneweb pour son autorisation

Sortie officielle française : 11 novembre 2009