“Les Herbes Folles”, drogues douces

Par Kub3

Si Cœurs réconfortait dans sa mélancolie, le nouveau film d’Alain Resnais relève presque du contraire. Les Herbes Folles inquiètent dans leur légèreté. Récompensé par le Prix exceptionnel du jury au Festival de Cannes, ce dernier opus du cinéaste déroute et ne peut que susciter le débat. Chez KUB3, on a plutôt aimé.

Qu’arrive-t-il à la montre de Georges Palet ? La trotteuse fait des siennes et semble vouloir ralentir le temps. Suspendue, en aparté, la vie trouve alors un curieux souffle et s’offre un détour surréaliste jusqu’à la mort. Elles sont décidément bien étranges, ces Herbes folles d’Alain Resnais. Surgies d’une couche de macadam, au pied d’un immeuble, entre deux rochers, elles révèlent peu à peu la métaphore efficace du titre : l’existence est bien souvent déterminée par ces petits accidents, ni vus ni connus, subrepticement apparus et d’apparence anodine, qui peuvent malgré tout engendrer de grandes conséquences. Jaillies de nulle part, les herbes fourmillent partout et envahissent nos existences.

D’un côté, Marguerite Muir (Sabine Azéma), laquelle se fait voler son sac à main en sortant d’une bijouterie. De l’autre, sieur Palet (André Dussollier), récupérant par terre le portefeuille de la pauvre dame. N’importe qui aurait rendu l’objet à la police afin que la victime récupère son bien - c’est d’ailleurs ce que s’enquiert de faire notre homme devant un Mathieu Amalric peu commode. Pas de quoi en faire toute une histoire ? Précisément, si. Car - imprévu non négligeable -, Georges Palet tombe sur une photo glissée dans le-dit portefeuille et, de manière totalement imprévisible, s’éprend de sa propriétaire. En tant que chirurgien-dentiste, cette dernière sait mieux que personne faire mal aux autres , et Georges n’échappera pas à la règle : son amour irrationnel, logiquement non réciproque, mène les deux personnages dans une singulière histoire d’amour qui finit par se crasher avant même de réellement décoller.

Entre temps, Resnais se sera bien amusé. Davantage que les enjeux dramatiques - qui ici importent peu -, il accumule les idées imprévisibles, parfois gentiment incongrues, à l’image de ses personnages. La lumière change au cours d’un même plan-séquence (passage du jour à la nuit en quelques secondes), le mot “fin” apparaît une première fois au son de la musique de la 20th Century Fox alors que le film n’est pas terminé, une citation de Flaubert (”Qu’importe ! Nous nous serons bien aimés”) s’insère sur fond noir de manière inexplicable… Adapté de L’Incident de Christian Gailly, le film cherche ainsi une expression formelle au ton littéraire initial. “Les herbes folles” sont celles de Resnais, autant que celles rencontrées par ses personnages, au sort invraisemblable.

Le cinéaste se veut joueur et libre, insufflant une fraîcheur décomplexée à son propos, loin de toute convention. Les fantaisies visuelles se multiplient, mais le film semble curieusement bâti sur un vide scénaristique. L’histoire ne casse pas trois pattes à un canard, tandis que les personnages vivent à l’écran sans réellement exister, comme ce Georges Palet dont nous ignorons la véritable identité (son passé obscur suggéré passe aux oubliettes). L’instabilité créant le malaise, David Lynch n’est pas si loin : Les Herbes Folles partagent avec le réalisateur de Mulholland Drive le détachement de l’histoire, des personnages ou des dialogues. Le charme opère ailleurs. Ou pas.

Dans ce type de démarche, le cinéaste est plus que jamais réalisateur ; au spectateur de déceler ruptures et continuités, références et récurrences pour approcher la cohérence de l’univers (re)présenté. Si toutefois elle existe. Ici, seul le style fait fond, déconstruisant le sens, la logique, la recherche du plausible comme la quête de réalisme. Au risque de paraître vaine et hermétique, l’expérience se veut d’abord imaginaire et donc esthétique. Les couleurs, souvent très saturées, surprennent d’ailleurs par leur sophistication - Alain Resnais confie s’être amusé à filmer “les extérieurs comme si c’était du studio, et les intérieurs comme du décor réel”. Entre force de la poésie et poésie forcée, les personnages fatalistes tombent dans les mains de leur destin inexplicable tandis que le film accueille l’artifice comme il vient. Faut laisser faire, et c’est très bien.


En salles le 4 novembre 2009

© StudioCanal