"Où est la France pour manger de bonnes choses?" (lettre de poilu)

Par Mgallot

Ma famille a la chance d'avoir conservé quelques lettres échangées pendant la grande guerre.

Elle sont un précieux témoignage de cette période, mais aussi de la vie paysanne au début du XXème siècle dans le Dauphiné.

Pour fêter le 11 novembre, voici une lettre qui fera écho à l'actualité... Elle est signée de mon arrière-grand-père, Louis, et envoyée à ses parents peu de temps après l'armistice.

Le contexte: Louis, soldat pendant la guerre, est resté provisoirement en Allemagne et travaille dans un restaurant.

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Lettre de Louis Petit

A Monsieur et Madame Petit Baptiste

Revel-Tourdan

Isère

5 décembre 1918

Bien Chers Parents,

J’ai votre aimable lettre du 309 [pas certain] et suis heureux de vos bonnes nouvelles. Je n’ai pas reçu le colis de tommes que vous m’annoncez, par contre j’ai reçu les gants. Quant à celui du saucisson, je m’étonne que vous n’ayez pas reçu la lettre où je vous avisais de la réception.

Ne vous tourmentez pas, je ne manque de rien, malgré le prix élevé des denrées. J’ai d’ailleurs plus de facilités que beaucoup pour m’approvisionner, les civils s’estimeraient heureux d’être aussi bien nourris que nous.

Ils sont surtout envieux du café, depuis 4 ans il est remplacé par une bouillie quelconque mais surtout mauvaise. Il est vrai que les Allemands ne sont pas difficiles, ils préfèrent de beaucoup la quantité à la qualité. Je suis dégoûté de voir la cuisine du restaurant où je suis. Depuis dimanche, ils ne mangent que du porc, de la saucisse, et du chou. Mon Dieu quel mélange. Voici la fabrication des fameuses saucisses : des têtes de mouton, des pieds de veau, des tripes de bœuf, du sang de veau et de mouton. Cette bouillie fortement assaisonnée, noix muscade, aulx et cie, et avec cela c’est la fête à la maison.

Les clients se font servir des portions qui seraient suffisantes pour quatre. Où est la France ou tout au moins nos pays pour manger de bonnes choses ?

Quel vilain temps ces jours, la pluie continuelle, plutôt malsain. Il n’y a cependant pas de malades parmi nous. Jh me dit que la grippe sévit toujours dans nos régions, je ne voudrais pas faire sa connaissance pendant ma perme, qui sera là avant quinze jours.

Nous avons fêté la Ste Barbe bien gentiment, un bon petit diner où nous avions invité un bon lièvre. Nous avions aussi réservé pour cette occasion une vieille bouteille de champagne.

Vous voyez Chers Parents, que nous ne faisons pas encore partie de ceux qui sont à plaindre. Comme distractions, pendant ces longues veilles, nous faisons un peu d’allemand pour nous faire comprendre dans les objets les plus courants.

Vous pourriez peut-être m’envoyer 50 francs ? car j’aurais l’intention de m’acheter des effets à mon passage a Lyon, car maintenant ils ne sauraient tarder à me servir.

La santé est toujours parfaite et désire qu’il en soit de même pour tous.

A bientôt de vos bonnes nouvelles et recevez l’assurance de ma profonde amitié.

Louis