Les écritures numériques (1)

Publié le 23 octobre 2007 par François Colin


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« Donnez moi de la boue et je vous peindrais une peau de Vénus, pour peu que je puisse mettre autour les couleurs de mon choix » : ce sont, dans mon souvenir, les paroles du peintre Delacroix à propos de son adaptation de la « Science des couleurs » qui apparaissait notamment au travers des écrits du chimiste Eugène Chevreul vers 1840…
Les « Eugène », si communément opposés (science et art), qu’ils soient de notre temps ou d’un autre, ne lassent pas de nous surprendre, comme toujours interactivement…

Nous voici, aujourd’hui, à l’ère du numérique… qui se propose d’être la mieux ou l’actuelle, la plus ou la nécessaire, la remplaçante peut être… nous sommes bien loin, déjà, de cet enseignement sur la théorie des couleurs : un savoir digéré depuis des « lustres » mais néanmoins révolutionnaire de son époque (sans pourtant jamais faire l’unanimité ou être même connu de tous).

A chaque époque, ses découvertes, ses implications, ses bouleversements, ses révolutions… défendus ou ignorés.

L’outil numérique, de par ses possiblilités d’écritures (dont les limites ne seraient que les nôtres) pourrait aussi, et contre toute attente, se placer en prétexte à une remise en question au niveau de l’application elle-même (fait communément dépassé).

Comme par réflexe et point de départ à chaque nouvelle investigation, il semblerait, la aussi, que nous n’ayons pas dérogé aux règles de vérification et de rassurement : « en utilisant ce nouvel outil, puis-je faire au moins à l’identique de mes matériaux habituels, puis-je en espérer plus ou autrement… mieux par rapport à ma vision, mes capacités ou connaissances ? ».

L’aquarelliste aborderait sans doute techniquement et presque spontanément le numérique selon son approche habituelle de l’application et du rendu, tout comme le pastelliste ou le graveur : huile, fusain, crayon, grain, texture, aérographe, pointillisme… chaque « clé à molette digitale » ou « brosse » prédestinées à un rendu élaboré par les concepteurs de logiciels, tendent à prouver la justification de ce médium aussi par comparaison et peut être rivalité. Pourtant et déjà, on en voit plusieurs qui feraient de la « vraie » huile virtuelle avec des craies numériques ou de l’aquarelle avec le pinceau sec…

Le procédé numérique, en tant que simple instrument, puisque ce n’est que ce qu’il est, nous pousserait malgré tout à nous définir comme « peintres numériques ». Ne sommes nous pas simplement peintres tout court, utilisant des outils, quels qu’ils soient ? ou peut-être même mieux : « faiseurs d’images » qui, tour à tour, et suivant leurs médiums de prédilection, se retrouveraient affublés de nominatifs socioprofessionnels, tel que peintre, graveur, pastelliste, digitaliste ?

Selon moi, le numérique est tout simplement et premièrement extraordinaire dans le sens où la distance entre la main qui tient l’outil et la pensée qui l’anime s’amoindrit considérablement. Il tend à s’affranchir de toutes les contraintes imposées par la matière au point de la mimer si parfaitement, également dans son ressenti visuel et émotionnel qu’on la croirait vraie ou plutôt identique et même supérieure. Pourtant cela n’est pas en de nombreux cas… car elle n’a de l’huile ou du fusain que l’apparence d’un fac-similé en se placant de ce point de vue qu’est la matérialisation.

A dire vrai : puisque ce médium fabuleux prouve déjà techniquement qu’il est capable de se mesurer à tous les autres… nous aurions sans doute intérêt à découvrir aussi ses écritures propres. Des écritures identifiables et impossibles à reproduire par d’autres médiums (à moins d’un travail hyperréaliste sans doute laborieux n’ayant que peu de rapport avec des traces d’outils numériques spontanées par exemple) qui justifieraient, avant même l’expression de l’auteur, son utilisation ?

Plus simplement : une écriture numérique identifiable entre mille qui explorerait ses langages propres, sans plus jamais n’être tenter de « mimer » les autres médiums… sans risquer ainsi, de se faire confondre.

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