Ce n'est pas le football qui est à l'origine de la violence

Publié le 18 novembre 2009 par Jarousseau

Les scènes d'émeutes urbaines en marge de grands rendez-vous footbalistiques au Caire, à Marseille, à Paris ou dans les rues de Belgrade nous ramènent à une triste réalité, celle de la violence comme phénomène croissant dans nos sociétés. Pour certains responsables, le football est la cause principale de tous ces débordements. Cette réponse est pour le moins rapide et facile. Si le football est un spectacle qui génère de plus en plus de violence, les causes profondes de ce phénomène sont à chercher plus loin. Les incidents autour des matchs entre l'Algérie et l'Egypte en sont l'illustration.


Ces deux pays disputent ce soir leur match d'appui afin de se qualifier pour le Mondial 2010 dans une atmosphère délétère. Depuis le caillassage du bus de l'équipe d'Algérie, jeudi 12 novembre en Egypte, puis les incidents entre supporteurs après la défaite 2-0 des Fennecs face aux Pharaons ce samedi, obligeant à une "belle" entre les deux pays, les rumeurs les plus folles circulent. Le ministre algérien des affaires étrangères peut bien démentir les informations erronées sur la mort de supporteurs algériens, difficile de calmer les foules.


Le match doit se jouer sur terrain "neutre" au Soudan. Les autorités soudanaises annoncent le déploiement d'un dispositif de sécurité exceptionnel mobilisant 15 000 policiers. Mais face à l'enjeu et aux incidents de ces derniers jours, rien de garantit le contrôle d'un tel évènement, à Khartoum.


Les relents nationalistes, la lutte pour la suprématie arabe présente entre les deux pays sur le terrain du football déjà dans les années 80 et 90, exacerbent cette fois-ci les passions, passions qui se transforment désormais systématiquement en actes de violence. Ce qui est nouveau, c'est une certaine forme de mimétisme avec les mouvements de hooliganisme à la mode européenne, et ce, principalement dans les pays du Maghreb.
Régulièrement depuis quelques années, la violence s'invite dans, et surtout, autour des stades. Elle s'exprime d'abord dans les rencontres de championnat, donc sans prétexte nationaliste. Depuis 2005, on estime que ces heurts entre supporteurs ont provoqué une dizaine de morts en Algérie. Rien qu'en 2008, la sécurité nationale algérienne faisait état de plus de 800 blessés durant la saison ! Le nombre de mineurs impliqués et interpellés a plus que doublé. Même si la situation est moins dramatique, le Maroc et la Tunisie sont confrontés au même phénomène.


Alors comment expliquer tout ce déploiement de violence ? SelonYoucef Fates, politologue maître de conférences à l’université Paris-X et spécialiste du sport algérien, "la violence est d’abord l’expression d’une détresse sociale d’une jeunesse délaissée qui trouve dans le stade le seul moyen d’exprimer sa colère face à un régime autoritaire. L’exaltation de l’identité nationale visible aujourd’hui dans la rivalité avec l’Égypte ne doit pas cacher ce phénomène essentiel qui empoisonne le quotidien du football au Maghreb".


Le Football africain a été apporté par la colonisation. Il est ensuite devenu un outil de construction de l'identité et de la lutte pour l'indépendance et du combat de la liberté contre l'apartheid en Afrique du Sud. Mais le football africain, ce sont aussi des infrastructures dans un état de vétusté terrible, rendant impossible le contrôle de la foule, ce sont des autorités qui se fichent des phénomènes de violence. "Les valeurs éducatives du sport ne sont jamais mises en avant, entraîneurs et éducateurs manquant de formation en la matière, et très souvent les médias font monter la pression avant les rencontres plutôt que de faire œuvre de pédagogie" selon Youcef Fates.


Est-ce réellement si différent en Europe ? Si les infrastructures sont dans un état nettement supérieur, s'il existe une réelle volonté de lutter contre le hooliganisme, il n'en demeure pas moins que l'Europe du football est aussi malade de la violence. Les pays de l'Est et de l’ex-Yougoslavie, la Grèce, sont les plus touchés par un hooliganisme structuré autour de groupes nationalistes. Le phénomène n'est pas si différent chez nous. C'est le signe d'un pays qui ne va pas bien.


Sources :Youssef Fates, "Sport et politique en Algérie", L’Harmattan (2009); Paul Dietschy et David-Claude Kemo-Keimbou, "Le football et l'Afrique", EPA (2009)