Un étonnant ensemble iconographique du XVIIIe siècle avec l'équerre et le compas à Mas-Saintes-Puelles (11)

Par Jean-Michel Mathonière

L'infatiguable Christophe Marty m'a envoyé les photographies d'un ensemble particulièrement intéressant, datant manifestement du XVIIIe siècle : il s'agit d'éléments sculptés se trouvant au dessus du linteau de la porte d'une maison située chemin Saint-Pierre à Mas-Saintes-Puelles dans l'Aude.

Suite:

« Voilà ce que l'on peut voir (je reprends les termes Christophe Marty, n'ayant dans le descriptif rien à ajouter) :

- à droite, un svastika courbé très bien tracé.

- à gauche, une fleur à 5 pétales.

- au dessus, une tête d'homme coiffée d'une perruque. Il doit sans doute s'agir d'un élément postérieur à en juger l'irrégularité de la base du cou et les entailles qui ont été réalisées sur la pierre circulaire et dans l'appui de la fenêtre située au dessus.

- au milieu, sur la partie supérieure d'une pierre circulaire, une équerre et un compas entrecroisés, placés sous une colombe (?) et encadrés de part et d'autre par des urnes flamboyantes et des vignes aux grappes pendantes. Dans la partie centrale, un rosier (?) dans un pot, des oursins et une étoile de mer. Tout autour, des oiseaux picorant des raisins, une tête d'enfant, une truie ou une laie allaitant son petit, des loups (?) et une tête d'homme portant une perruque à catogan. »

© Photographies Christophe Marty, D.R.

Il s'agit assez probablement d'un ensemble réalisé vers le milieu ou la seconde moitié du XVIIIe siècle par un Compagnon tailleur de pierre, qui se sera portraituré naïvement au-dessus d'un médaillon où figurent quantité d'éléments dont la signification exacte reste à établir avec prudence. Essayons d'en faire une première approche…

L'équerre et le compas
L'équerre et le compas entrecroisés, en chef, témoignent tout simplement de sa fierté d'être Compagnon et de l'importance que ce fait a pour lui, comme c'est normalement le cas pour tout Compagnon. Bien sûr, l'emblème étant commun au Compagnonnage et à la Franc-maçonnerie, on ne peut totalement exclure qu'il témoigne d'une appartenance à cette dernière. Toutefois, d'une part, l'auteur de cette sculpture est nécessairement un tailleur de pierre, ce qui rend la qualité compagnonnique quasi certaine, et, d'autre part, il n'est, contrairement aux habitudes de l'emblématique maçonnique de l'époque, aucun autre symbole spécifiquement maçonnique qui viendrait corroborer cette appartenance (par exemple la truelle, les colonnes J et B, le rameau d'acacia). On doit aussi citer, comme possibilité quelquefois attestée chez les Compagnons tailleurs de pierre de la fin du XVIIIe siècle, qu'il soit tout à la fois Compagnon et Franc-maçon, ce qui l'inciterait encore plus à mettre l'équerre et le compas à l'honneur.

Les deux têtes du médaillon
Les deux têtes du médaillon, une de profil, incontestablement masculine, et l'autre de face, dont il se dégage une douceur féminine (malgré l'absence d'une chevelure qui serait plus caractéristique) représentent à mon avis le tailleur de pierre et son épouse, ceux qui ont édifié cette demeure. Le portrait de profil est manifestement influencé par un modèle extrêmement répandu et commode : la monnaie royale ! En l'occurrence, il semble bien que ce soit les écus de Louis XV, ce qui permettrait de dater cette réalisation du troisième quart du XVIIIe siècle.

Une emblématique de la fertilité et de l'amour.
L'hypothèse qu'il s'agit d'un couple se trouve à mon sens renforcé par toute l'emblématique de la fertilité et de l'amour (chrétien mais aussi profane) déployée dans le médaillon : oiseaux qui béquètent des grappes de raisin (vieux thème de l'iconographie chrétienne de l'âme se nourrissant aux vignes du Seigneur), truie ou laye allaitant un marcassin. Le médaillon central représente une corbeille abondamment fleurie, qui participe de la même signification générale.

Chiens ou loups ?
Quant aux deux canidés qui se courent après, peut-être sont-ils des chiens et symbolisent-ils dès lors, dans le cadre de l'amour et de la fertilité, la fidélité. Mais l'on peut aussi envisager qu'il s'agit de loups, ce qui renverrait alors, avec beaucoup de probabilité, à la famille des Compagnons Étrangers tailleurs de pierre, qui se surnomment eux-même les « Loups » alors que les Compagnons Passants sont en retour qualifiés de « Loups-Garous » (notons d'ailleurs que le chien est l'emblème général des Compagnons du Devoir, précisément parce qu'il est l'emblème de la fertilité).

Il est à noter que, précisément, c'est aux alentours de 1750 que semblent apparaitre formellement les Compagnons Étrangers, l'une des plus anciennes attestations étant un graffiti dans le Temple de Diane à Nîmes, qui proclame fièrement : « LA FRISE LANGEVIN NOBLE LOU THAEEUR DE PIERE 1751 ».

Le swastika et la rose
Le symbole du swastika à pétales courbes en forme de virgules se retrouve d'ailleurs dans des fiefs des Étrangers, tel Saint-Fortunat-au-Mont-d'Or dans le Lyonnais. Quant à la rose à cinq pétales, thème iconographique au demeurant assez banalisé, c'est également un symbole important pour eux. Rappelons que de toutes les façons, la symbolique florale est omniprésente chez les Compagnons tailleurs de pierre, qu'ils soient Passants ou Étrangers (cf. Le Serpent compatissant).

Les deux sphères
On remarquera enfin, pour conclure provisoirement, que le swastika comme la fleur sont en fait posés sur ce qui semble bien être deux sphères. C'est là aussi un thème symbolique bien connu des anciens Compagnons tailleurs de pierre, avant même qu'il soit également attesté dans la symbolique maçonnique : celui des sphères terrestre et céleste, qui symbolisent l'astronomie. C'est là un sujet sur lequel je reviendrai dans les semaines à venir…