Oh non, ils sont quatre!

Publié le 21 novembre 2009 par Timothée Poisot

Oh non, ils sont quatre, on va pas pouvoir tricher, c’est (sic.) ce que j’ai entendu en laissant traîner mes oreilles devant l’amphi quelques minutes avant que ne commence un contrôle continu d’un des matières que j’encadre. Le fait est que nous étions, non quatre, mais six surveillants pour une petite centaine d’étudiants, et que dans ces conditions, il est effectivement difficile de tricher (sans se faire attraper, s’entend).

Certes, entendre ce genre de remarques me donne envie d’ajouter le coup de boule rotatif à ma mallette pédagogique, mais une fois passée cette envie (et une heure à surveiller de près ceux qui avaient évalué leurs chances de pouvoir gratter quelques points, et oui, dommage les gars…), on peut s’arrêter et réfléchir deux minutes.

Avant de commencer, full disclosure, je ne trichais pas pendant mes partiels (à part une fois, et c’était d’ailleurs assez drôle, ce sera sans doute l’occasion d’un autre billet d’ici quelques temps). Je sais que c’est facile de dire ça, mais si jamais il me prenait l’envie de scanner mes relevés de notes de licence, ce serait assez facile de vérifier. Avec des performances comme 1.25 en chimie organique et 3 en maths, soit je ne trichais pas, soit j’étais loin d’être performant.

Peu importe… L’essentiel est que j’avais dans l’idée que c’était assez mal, moralement, de tricher, et que si j’avais sciemment choisi de faire des mots-croisés au lieu de comprendre comment on assemblait un cycle de benzène, alors j’assumais que tout le monde sache que je n’étais pas performant dans ce domaine. Aucun problème. J’avais une forte tête à l’époque, et je croyais plus à apprendre des choses qu’à avoir des bonnes notes.

Et j’ai un peu l’impression que selon la cible qu’on se fixe, on a plus de chance de se laisser tenter. Si l’objectif est d’avoir une « bonne » note (>10, disons), alors tous les moyens sont bons pour y arriver. Si on veut apprendre des choses,  alors on travaille, et la question de tricher ne se pose pas parce qu’on sait déjà répondre aux questions.

Et derrière tout ça, il y a un enseignant qui motive ou non ses élèves dans une des directions. Je vais encore passer pour un idéaliste. J’ai eu l’occasion de remarquer – et je suis assez rassuré de voir que plusieurs collègues partagent ce constat – que si on demande aux étudiants de rédiger un compte rendu en travaux pratiques, on récupère, dans le meilleur des cas, une pile de papier brouillon. Si maintenant on leur rend la semaine d’après en faisant remarquer que ça ne vaut pas 10, et que d’ailleurs aucun d’entre eux n’a la moyenne, et que donc il faut le refaire entièrement pour mardi sinon la moyenne va prendre du plomb dans l’aile… on augmente substantiellement les chances de récupérer un travail correct (i.e. sujet-verbe-complément, des titres aux dessins, et des paragraphes rédigés, pas de quoi non plus vermifuger un abribus).

Du coup, histoire de continuer avec des anecdotes, je me rappelle l’année dernière une séance de TP ou 2 étudiants sur 30 (au mois de mai, tous des étudiants en biologie) étaient arrivés en blouse, les 28 autres étant en tee-shirt, ou en tout cas en toute autre tenue non compatible avec la microbiologie (et non, ta casquette et tes Ray-Ban ne sont pas des équipements de sécurité, alors vu qu’il est 8 heures moins 5 et que je ne négocie pas, soit tu les enlèves, soit tu passes les trois heures les plus longues de ta vie assis à côté de moi au bureau et sans moufter). Du coup, après avoir commencé par baisser les moyennes de tout le monde de 2 points (au final je ne l’ai pas fait, mais croyez moi ça fonctionne), et annoncé que la prochaine fois c’était 0, et qu’ils passeraient la séance à regarder les autres maniper, j’ai pu récupérer un groupe ou tout le monde avait une blouse.

Vous aurez compris le principe. En L1, et dans une moindre mesure en L2, on est face à des étudiants qui sont dans 80% des cas des gros bébés qui attendent qu’on les materne (dans le meilleur des cas), ou alors de jeunes lycéens qui se comportent comme si la fac, c’était les vacances (dans les autres cas). Et le moyen de gérer ça, c’est souvent de manier le bâton (le manche de pioche) : on établit dès les premiers moments une véritable dictature de la note, qui en gros consiste à se dire que  si les étudiants sont dans un état d’évaluation permanente, avec une potentielle sanction permanente, ils vont se tenir tranquille.

Selon le degré de laxisme qu’on veut bien y mettre, ça peut ne pas marcher du tout. Et au début j’étais plutôt contre cette méthode (mais mon expérience avec le milieu scolaire fait que j’en ai une vision un peu tordue, passons). Mais, force est de constater que si pendant deux séances on est le sergent Hartman, ça maximise les chances de finir en John Keating. Alors que l’inverse, pour l’avoir fait une fois, conduit à passer d’un personnage à l’autre…

En gros, voilà ou j’en suis actuellement. L’objectif est toujours de raconter et de faire travailler l’imagination pour rendre l’apprentissage interactif. Mais j’ai l’impression que pour mettre en place les pré-requis (la motivation, jouer le jeu, le respect de quelques règles basiques), même de grands discours ne suffisent pas, et qu’il faut mettre le cadre autour de nos jeunes oisifs avec parfois un peu plus de rigueur que ce qu’on souhaiterait…

Quant à mes lecteurs qui doivent aussi enseigner, qu’en pensez vous?

Note 1: Billet rédigé en écoutant un vieux disque endormi au fond d’un sac, retrouvé avec le plus grand plaisir : les concerto BWV 1042, 1056, et 1041 de Bach par Itzhak Perlman, chez EMI.

Note 2: J’ai eu une discussion fort intéressante (vraiment!) avec deux témoins de Jehovah sur la morale, l’éthique, et comment elles tenaient ou non le coup face à l’évolution. Peut-être un podcast a prévoir.


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