Le destin tragique des Roms

Par Lauravanelcoytte

Le 30 septembre 1421, un dénommé sire Miquiel, prince de Latinghem en Égypte, se présente aux autorités de Tournai pour recevoir la protection de la ville. Les consaux (la municipalité) offrent alors sans sourciller l'hospitalité « à ces bons chrétiens chassés par les Sarrasins de leur pays ainsi qu'une somme importante, douze moutons d'or, du pain et de la bière ». Au XVe siècle, donc, on ne discute pas plus la venue des chevaliers du « Petit Égypte » en terres d'Occident qu'une bulle du pape. Or, précisément, ce fut bel et bien un pape, Martin V, qui laissa aller aux quatre coins de l'Europe, et dans le cadre d'un étonnant jubilé, la « tribu prophétique aux prunelles ardentes » chère à Baudelaire.

Depuis cette date, une longue histoire a pu rattacher les Tsiganes à nos cultures modernes. Mieux encore, à force de parcourir les contrées du Vieux Continent de long en large, ces nomades semblent en être devenus les frontières vivantes avec tout ce que cela implique en termes de convulsions politiques, culturelles. Ainsi par exemple en France, les auteurs de ce passionnant ouvrage nous apprennent que Louis XIV se décida un jour à retirer le patronage militaire aux « compagnies de Boesmes » non point pour leur mode de vie, mais bien parce que ces sujets du roi de France servaient fidèlement la noblesse dissidente, les armes à la main. Chose intolérable ! De l'abbé Prévost à Hugo, ces « patriotes cosmopolites », dirait Valéry Larbaud, souvent sédentarisés au fil des âges n'auront de cesse de peupler l'imaginaire des lettres, de la musique et de la danse. Pour le meilleur donc, et aussi pour le pire au vu de ce début de XXe siècle qui proclama un désamour sans précédent contre les gens du voyage. Les révélations des auteurs sont ici ahurissantes.

Dès 1915, des campsde concentration

Du préfet Bertillon, ordinairement connu pour avoir « inventé » la police scientifique, on constate qu'il fut encore l'homme du carnet anthropométrique pour manouches, sortes de livret obscène sur lequel figuraient diverses mesures telles que la longueur de l'oreille droite, du nez ou celle du pied gauche… De la ville de Crest (Drôme), on découvre qu'elle accueillit l'un des tout premiers camps de concentration de l'histoire, internant à la hâte les Sinti (Tsiganes alsaciens et lorrains) dès 1915, craignant sans doute qu'ils fussent de terribles espions allemands. Des camps d'extermination nazis dont on savait que les Tsiganes comptèrent parmi les victimes, on apprend avec effroi qu'une administration tatillonne tarda à les libérer après l'arrivée des Alliés, les relâchant seulement avec « les condamnés pour marché noir, les souteneurs ou les prostituées », vers la fin de l'année 1945. Un ouvrage à ne pas manquer donc, pour ceux qui croient encore avec Shakespeare que la douleur peut être une culture.
«Les Tsiganes en France. Un sort à part 1939-1946» de H. Asseo, E. Filhol et M.-C. Hubert Éditions Perrin, 420 p., 22 €.

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