La main d’Henry

Publié le 22 novembre 2009 par Jlhuss

On connaissait le talon d’Achille, la cuisse de Jupiter et le nez de Cléopâtre, le genou de Claire et l’oeil de Moscou. On disposera maintenant de « la main d’Henry » pour désigner non pas seulement la tricherie d’un joueur dans une compétition sportive internationale, mais un ensemble de comportements croquelinesques qui signe l’époque.

Certes, le football professionnel est au premier rang des dérives. Ce substitut de la guerre est désormais la guerre même. Pour entrer dans le  processus de la « sublimation », cette sorte de leurre consenti offrant un dérivatif à la pulsion brute (comme dirait le psy), il faut un minimum sinon de culture au moins d’éducation. Ces deux denrées se faisant rares, on ne s’étonne pas de voir dans les gradins et les rues, les soirs de rencontres, déferler ces hordes de pandours « pleins de bière et de drame » pour qui les tatillonneries d’un jeu raffiné ne sont que vains retardements de l’empoigne, la hargne, la castagne.

À quoi s’ajoutent, dans les instances et officines sportives, la gangrène de l’argent et l’arbitraire de l’arbitrage : une société en réduction.  Que la coupable main de Thierry Henry, l’autre soir, frustre l’Irlande de sa victoire ; que des supporters  Egyptiens caillassent un car de joueurs Algériens rivaux ; que la victoire des susdits Algériens dans un match joué au Soudan se  fête chez des Français de Marseille en cramage de bagnoles et bris de vitrines : tout cela montre à la fois la dé-moralisation des acteurs, la décérébration des supporters, l’hypertrophie des enjeux, l’irresponsabilité des juges, et même la dinguerie d’un tam tam médiatique égalant sur l’échelle des tempêtes le pet de vache et le  tsunami.

Quand une société ne tient plus ses entrailles, ça ne sent pas bon non plus en politique. Un présumé gentil Peillon range trop tôt sa madone au placard et l’évince du troquet qu’elle a fondé. Passe encore : c’est le jeu inélégant des ambitions. Mais furieux de voir la dame venir humer la tambouille à Dijon sans avoir réservé, voilà que le même gentil Peillon ose proclamer que cette pistoise relève de la « psychiatrie lourde » : là c’est une main d’Henry, version bras de fer.

Un ex-Premier ministre comploteur avéré se pose en victime de l’acharnement présidentiel ; des médias de linotte ou de malice appellent pour 2012 à la vengeance monte-cristienne du Galouzeau  : main d’Henry, dans le rayon Bibliothèque verte. Que Sarkozy se défausse sur Fillon de la colère des maires : main d’Henry, variété dégonflage du petit dur ; mais quid des maires eux-mêmes, et autres barons régionaux criant  « Au meurtre ! A l’assassin ! » parce qu’on va rogner leurs cassettes, et qu’ils devront choisir entre une crèche et un rond-point ? Main d’Henry, dans le registre têtes à claques.

D’ailleurs, ne montrons pas toujours du doigt les importants. La main d’Henry, c’est la fauche sympa de Kevin dans l’hyper ; la gruge numérisée d’Abdel au contrôle de maths ; le piratage djeune de Cynthia sur le web ; le surendettement victimaire des Dupont ou des Fialek, qui ne paieront pas leur loyer mais continueront de s’appeler sur leurs portables pour dire « T’es où ? ». La main d’Henry, c’est tous les tacleurs d’allocations, les faussaires de congés de maladie, les gloutons d’Assedic et autres carambouilleurs « à profiter ».

La main d’Henry, c’est nous. De tout temps, direz-vous.  Peut-être, mais surtout aux périodes  de basses eaux morales, quand le mot « valeur » n’évoque plus guère que les cotations en  bourse ou les bulletins météo.

Arion

[Les dessins de chez Croquignolet ]