L'après-midi de Monsieur Andesmas

Par Sylvie

de MARGUERITE DURAS

Editions Gallimard, "L'imaginaire", 1962
Ce texte, relativement peu connu de Marguerite Duras, a été réédité récemment pour le cinquantième anniversaire de la collection "L'imaginaire". C'est aussi une pièce radiophonique datant de 1965, interprétée par Charles Vanel et Maria Casarès, aujourd'hui disponible en "livre CD" chez Livraphone.

On retrouve dans ce court texte les grands thèmes de Duras : tout d'abord le décor marin puis la solitude, l'amour en échec, le dialogue...Mais ici, l'amour, la passion ne concernent plus seulement le couple d'amant mais aussi un surtout l'amour de son père pour son enfant...qui naît à la vie et qui rejoint son amant.
Ce récit est d'abord l'histoire d'une attente : celle d'un vieillard, Monsieur Andesmas, assis sur une chaise en rotin, devant la mer et le gouffre de lumière, devant la maison qu'il vient d'offrir à sa fille Valérie. En cette après-midi d'été, il attend l'architecte Michel Arc,  qui va être chargé de construire une terrasse sur ce terrain pour Valérie, devant la mer.
Mais Michel Arc ne vient pas...Monsieur Andesmas attend. Il attend jusqu'à ce que la nuit tombe. Au fil de son attente, le rejoindront un chien, une petite fille et une femme, respectivement fille et épouse de Michel Arc.
Car il se pourrait bien que Michel Arc soit en compagnie de Valérie, en bas sur la place du village, en train de danser...
Au rythme du vent, un air de musique, un refrain d'amour, monte jusqu'à la terrasse de Monsieur Andesmas. Une musique symbolisant la jeunesse et la joie, qui atteint de plein fouet la masse  vieillissante de Monsieur Andesmas.
Comme à son habitude, Duras dit beaucoup de choses, explore un ressenti en peu de mots. Une histoire épurée très rythmée : l'attente est scandée par les jeux d'ombres et de lumières et par les "effluves musicales" qui montent jusqu'à la terrasse.
Les deux visiteuses, antidotes à la solitude, apparaissent comme des ersatz de Valérie. A la fin, Madame Arc de Monsieur Andesmas dialogueront sur leurs deux amours perdus.

Duras dit le rien, l'attente, le chemin de l'ombre, les miroitements de lumière, les froissements du vent. L'immatériel, les petits riens de l'atmosphère contrastent avec la masse sombre du vieillard, tel un vieil arbre  condamné à rester prisonnier de la terre. Joie et solitude, envol et masse terrestre : cette ronde de contrastes joue la petite musique de la fin et de la naissance d'un autre amour.
Le couple d'amoureux n'est présent que dans la mémoire et les paroles des deux âmes esseulées ; ensemble, ils forment un choeur de solitude au sein de la nature flamboyante.
Magique. L'histoire de l'attente d'un vieillard, à l'écoute du frémissement du monde :
"L'écho de la voix enfantine flotte longtemps, insoluble, autour de M. Andesmas, puis aucun des sens éventuels qu'il aurait pu avoir n'étant revenu, il s'éloigne, s'efface, rejoint les miroitements divers, des milliers, suspendus dans le gouffre de lumière, devient l'un d'eux. Il disparaît. .....
L'impossibilité totale dans laquelle se trouve M. Andesmas de trouver quoi faire ou dire pour atténuer ne fût-ce qu'une seconde la cruauté et ce délire d'écoute, cette impossibilité même l'enchaîne à elle.
Il écoute comme elle, et pour elle, tout signe d'approche de la plate-forme. Il écoute tout, les remuements des branches les plus proches, leurs froissements entre elles, leurs bousculades, parfois, lorsque le vent augmente, les sourdes torsions des troncs des grands arbres, les sursauts de silence qui paralysent la forêt tout entière, et la reprise soudaine et enchaînée de son bruissement par le vent, les cris des chiens et des volailles au loin, les rires et les paroles cette distance confondus tous dans un seul discours, et les chants, et les chants.
Quand les lilas
...mon amour
Quand notre espoir...
Dans une perspective unique, ils écoutent tous deux. Ils écoutent aussi la douceur égorgée de ce chant."