Les Jeux du Pacifique 2011: des infrastructures sans transport ?

Publié le 27 novembre 2009 par Servefa

Les grands événements sportifs constituent des occasions privilégiées pour les pays de moderniser leurs infrastructures. Il s'agit généralement d'un déclic pour la construction de complexes sportifs, mais aussi pour la réhabilitation de quartier et l'amélioration des transports publics. En effet, alors que les Jeux Olympiques de 1968, à Grenoble, ou de 1976, à Montréal, ont été l'occasion de développer considérablement le réseau routier, le Stade de France, construit pour la coupe du monde de football 1998, n'a été conçu qu'avec très peu de stationnements mais une accessibilité accrue en bus, métros, RER et même par voie fluviale. Les leçons avaient été retenues de l'organisation des Jeux d'Atlanta, en 1996, où le transport des athlètes et des spectateurs a été identifié comme le point noir de l'organisation américaine, malgré un large système routier qui s'est avéré insuffisant, alors que les transports publics, habituellement utilisés par les populations afro-américaines défavorisées, n'ont pas subi d'améliorations notables.

Evidemment, les jeux du Pacifique restent des évènements locaux, et il convient de garder en tête l'échelle autrement modeste de cet évènement. Toutefois, je m'étonne grandement de constater qu'aussi bien dans les articles de la presse (Nouvelles Calédoniennes du 26 novembre 2009) que sur le site Internet de l'évènement il n'est nullement question d'infrastructures de transports publics. Pourtant les jeux d'Apia en 2007 avaient été l'occasion d'établir un plan de transport public spécifique aux Jeux évidemment à l'échelle de la taille de la capitale samoane qui ne comporte que 38 000 habitants. Mais le Grand Nouméa compte plus de 150 000 âmes et connaît des dysfonctionnements grandissants dans son système de déplacement, tant avec la congestion routière qu'avec ses transports collectifs inadaptés, chers, et peu efficaces. D'ailleurs, l'agglomération s'inquiète grandement de cet état et travaille actuellement à l'élaboration d'une planification intercommunale qui prévoit notamment la mise en oeuvre d'un système de transport en site propre (TCSP).

Aussi, plutôt que de faire reposer la partie transport des Jeux du Pacifique 2011 sur la seule circulation routière, ou plutôt que de prévoir un plan transport à la va-vite quelques temps avant les Jeux, il pourrait être particulièrement indiqué que les organisateurs des Jeux du Pacifique se rapprochent des responsables de la planification des transports de l'agglomération afin de saisir l'occasion des Jeux pour une première expérience de transport collectif efficace.

Par exemple en prévoyant des bus ou des navettes sur voies réservées entre les différents sites. Entre le Village des Jeux et le centre-ville, il pourrait-être imaginé d'utiliser la création d'une voie supplémentaire, économique, qui pourrait, après les Jeux, être utilisée en piste cyclable (particulièrement pour les étudiants de l'université qui pourraient se rendre au centre-ville de manière sécuritaire en cycle, d'autant que le relief s'y prète). Depuis le centre-ville, il y a bien quelques stationnements à condamner pour libérer des emprises et se rendre sur les différents lieux d'épreuves sportives (sauf peut-être au niveau de la vallée des colons, mais rien n'oblige à y passer, pour se rendre à Numa Daly).

Entre le centre-ville et Rivière Salée, Koutio, le Mont-Dore et par extension, Païta, le réseau de transport des Jeux pourrait être une anticipation, et une expérimentation, du futur réseau d'agglomération. Aussi, une fois le scénario d'itinéraire de ce réseau identifié (ce qui devrait être le cas dans les prochains mois), il pourrait être opportun de le concevoir en l'adaptant à moindre coût pour l'évènement des Jeux, quand bien même certains points du réseau ne seraient pas entièrement en site propre. Ainsi, par exemple, sur la rue Unger les stationnements pourraient être transformés en voie réservée, et sur la voie express, la mise en oeuvre d'une bande d'arrêt d'urgence pourrait accueillir une voie de bus, tout comme que l'ancienne voie ferrée au niveau de Rivière Salée (auquel cas il conviendrait que les services techniques concernés commencent au plus tôt l'étude du passage sous la VE1 vers le Mont-Dore). Mais le but de ce billet n'est pas de faire de la technique, mais de proposer de se servir des Jeux du Pacifique pour anticiper et préparer le futur réseau d'agglomération en transports collectifs.

Exemple de voie de bus en bordure de voie express, à Jakarta, Indonésie

En effet, dans le long chemin qui mène d'un réseau de bus conventionnel à un véritable système de transport en site propre (cf. le schéma ci-dessous extrait d'un guide élaboré entre autres par l'ONU ) la mise en oeuvre de voies de bus, même temporairement (les Jeux ne durent que deux semaines mais l'expérience pourrait être prolongée jusqu'à la semaine de la mobilité généralement à cette période), pourrait constituer une première étape d'assimilation de nouveaux comportements pour la population. Surtout, elle pourrait s'avérer être un apport immense d'informations, de renseignements, de réactions des usagers, pour l'élaboration et la conception du réseau global.

Le passage de l'informel au conventionnel a été assuré par la création de Karuïa et de CarSud, avant la mise en oeuvre d'un véritable BRT (Bus Rapid Transit) , il reste encore quelques étapes et quelques enseignements à prendre

Et mieux encore, si l'expérience s'avère satisfaisante, elle pourrait être maintenue à l'issue des Jeux, peut-être pas dans une configuration trop lourde dont le but serait d'améliorer sensiblement les déplacements aux heures de pointe, mais pour des effets sociaux importants pour les populations les plus défavorisées de l'agglomération. En effet, il me semble que les attentes du transport collectif dans l'agglomération conduisent à espérer que ce dernier offre une alternative bénéfique qui permettent aux populations des catégories sociales moyennes et supérieurs de réduire, sinon leurs temps de déplacement, au moins leur niveau de stress. Il s'agit effectivement d'un enjeu majeur du transport public. Mais, cela ne doit pas conduire à la création d'un réseau "premium" réservé aux populations les plus riches, comme j'ai pu l'entendre de la part de certains conseillers venus de la Métropole. L'enjeu social du transport public est aussi tout à fait déterminant. Les possibilités de mobilité constituent en effet un capital non négligeable pour permettre aux populations de sortir de leur vulnérabilité à travers notamment l'insertion par l'emploi, en élargissant le potentiel des offres d'emploi disponibles. Aussi, j'ai quelques réticences à participer à la satisfaction générale de la Ville de Nouméa sur le réseau Karuïa, alors même que ce réseau coûte cher aux utilisateurs et à la collectivité pour un service peu satisfaisant (j'ai eu l'occasion d'en faire l'expérience par le passé...) et à m'enthousiasmer de la réaction du président de la Province Sud lorsqu'il lui est demandé ce qu'il compte faire pour améliorer l'offre des transports dont le prix du billet est trop élevé pour certaines populations et qu'il répond tout de go qu'il est prêt à endetter la Province pour la construction de nouvelles routes et de nouveaux échangeurs (émission RFO "Faut qu'on se parle" du 30 octobre 2009 ), oubliant ainsi tout à fait que la question était posée dans le contexte de la pauvreté.

La réception des Jeux du Pacifique par la Nouvelle-Calédonie en 2011 doit ainsi permettre d'améliorer non seulement l'offre d'équipements sportifs, ou en logements (notamment étudiants), mais aussi de poser les jalons du Grand Nouméa de demain, par exemple par un avant-goût d'un véritable système de transport, d'un Grand Nouméa qui offre sa chance à tous.

François Serve