Fabrica - Nicolas Presl

Publié le 29 novembre 2009 par Malaurie @jfbib

Cette bande dessinée, sans texte et en Noir & Blanc, est passionnante.
Dans une société future fortement industrialisée, la liberté est devenue un ancien souvenir (Georges Orwell et 1984 ne sont pas loin). Les forces de police pourchassent les déviants : musiciens, libraires... Les autodafés sont monnaie courante (Fahrenheit 451 de Ray Bradbury pointe son nez). Un homme, pianiste dans un bar, possède 6 doigts à ses mains, tout comme son fils qui l'accompagne (
est-ce une évolution darwinienne ? ça y ressemble fortement). Une descente de police les oblige à fuir rapidement. Le père a tout juste le temps de cacher son fils avant de se faire attraper. Ce dernier est alors recueilli par un ouvrier travaillant dans une usine d'armement (Les Temps modernes de Charlie Chaplin se devinent alors). Ce dernier va cacher l'enfant dans l'usine, à l'intérieur l'unité où il est affecté. Il lui apportera des nourritures pour le corps et l'esprit : des steaks et Don Quixotte de Cervantes, Les métamorphoses d'Ovide et enfin un livre d'anatomie, probablement celui de André Vésale (1514-1564) intitulé De humani corporis fabrica (Fabrica, tiens-donc !). L'enfant va ainsi voyager en imagination, se promener dans l'usine et devenir un grain de sable dans les rouages bien huilés de la fabrique. Mais un malheur ne vient jamais seul : le boucher, chez qui l'ouvrier s'approvisionne (certainement échappé de Delicatessen de Caro et Jeunet), méfiant devant l'appétit soudainement plus important de son client livrera ses doutes aux forces de l'ordre... Police et contremaître vont-ils anéantir ce petit espace de liberté ?
© Nicolas Presl (Atrabile)

Le dessin mérite aussi votre attention. Les personnages ont des gueules sorties d'un tableau de Picasso, Guernica par exemple. Leurs narines, trilobées, leur confèrent des expressions de particulières : souffrance, méfiance, défiance et violence, cohabitent avec dérision, persuasion, soumission et compassion. Chaque personnage de cette fiction porte en lui les stigmates de sa personnalité. Nous sommes confrontés à ce combat éternel entre l'homme et ses créations : les machines (Métropolis de Fritz Lang) et les armes. Combat inégal où l'homme s'avère bien souvent impuissant, le dessin de Nicolas Presl, son choix du Noir & Blanc, ses compositions,  les thèmes abordés dans cette histoire, montrent à quel point le corps et l'esprit sont liés, combien ils sont broyés par les machines et la technologie. Nicolas Presl nous interroge sur notre humanité et sur notre futur tout aussi bien que ses illustres inspirateurs précédemment cités.
Pour en savoir plus, peut-être trop sur Du9, juste assez chez Bulledair et sur BDGest.
Fabrica
Nicolas Presl, Atrabile, collection flegme, 2009, 21 €.