Amis, veaux, vaches, cochons.

Publié le 01 décembre 2009 par Eric Viennot
Personne n’en parle, ou presque, et pourtant c’est actuellement le jeu vidéo le plus joué au monde. Le nombre de joueurs qui s’y adonnent dépasse de très loin les plus gros hits que sont Call of Duty, Halo, GTA, Brain Training, PES, Mario Kart ou World of Warcraft. Avec plus de 68 millions de joueurs actifs, (à l'heure où vous lirez ce billet, cela aura sans doute déjà augmenté), il est même devant le jeu le plus vendu au monde : Wii Sports et ses 50 millions d’exemplaires. Ce jeu s’appelle Farmville. C’est un jeu Facebook édité par Zynga qui consiste à créer et faire évoluer une ferme virtuelle.
A quoi tient ce succès phénoménal ? En premier lieu, à sa gratuité. Il suffit de charger un petit exécutable Facebook pour pouvoir y jouer. Ensuite, cela tient aux mécaniques virales redoutables qu’il met en place pour multiplier son développement : chaque fois que vous lancez le jeu, celui-ci vous propose, moyennement un gain de monnaie virtuelle, d’inviter vos amis Facebook à y jouer. Chaque fois que vous passez un niveau, vos amis, même s’ils n’y jouent pas, sont avertis. Ainsi, tel un parasite sur un être vivant, le jeu se sert du réseau social pour se développer, avec des résultats de propagation garantis, à faire pâlir n’importe quel éditeur ! Quand la plupart dépensent des sommes phénoménales en marketing pour faire connaitre leurs jeux, ici le réseau se charge de tout !

Dernier point et non des moindres : le gameplay. Les mécaniques de jeu sont simples et efficaces. On rentre dedans immédiatement, sans même passer par un tutorial ou avoir besoin de lire les règles. Mais derrière des apparences un peu triviales (graphisme naïf, mais cependant très mignon, vue isométrique rétro, mécaniques reposant sur de simples clics, …) se cache un gameplay très addictif, basé, comme sur les MMO, sur le gain d’expérience.  Ce gain se fait surtout sur une gestion du temps de jeu totalement adaptée au réseau social. A chaque connexion, quelques clics suffisent pour progresser, le temps entre les connexions étant pris en compte dans l’expérience car, comme tout le monde le sait, il faut être patient pour faire pousser des artichauts et des tomates !

L’autre grande force de Farmville, comme des autres jeux du même éditeur, c’est évidemment sa dimension sociale, basé sur l’échange et la convivialité. Même si la compétition existe, elle reste avant tout une façon de communiquer sans s’écrire, de s’interpeller sans se parler, de dire « ça va Pascal ? » en se tirant la bourre ! Jouer au même jeu, au même moment, c’est faire partie de la même tribu. Découvrir la « ferme » d’un contact Facebook peut éventuellement nous apprendre davantage sur sa psychologie qu’une longue discussion. Comme disait Platon* « on apprend davantage sur un homme  en une heure de jeu qu’en une année de conversation ». Ainsi, sous des apparences de petits jeux naïfs, Zynga et Playfish son principal concurrent, sont peut-être en train d’inventer un nouveau genre promis à un grand succès : les jeux communicants.

Facebook se pose donc indéniablement comme une nouvelle plateforme de jeu. Mais les sociétés qui produisent ces jeux gratuits sont-elles rentables ? D’après les informations que j’ai pu trouvées ici ou , les revenus annoncés sont assez sidérants : après avoir gagné 50 millions de dollars l’an dernier, Zinga s’attend cette année à un revenu de plus de 100 millions de dollars. Les gains proviennent des revenus publicitaires générés par le trafic mais également des 2 à 10% de joueurs qui achètent de la monnaie virtuelle pour avoir accès à des contenus premium permettant d’avancer plus vite ou de personnaliser leurs biens virtuels. Autre atout des jeux en question : leur coût de production extrêmement faible en regard des jeux pour consoles. D’où l’appétit soudain des grands éditeurs pour les développeurs spécialisés dans ce type de jeu. Playfish vient ainsi d’être racheté une petite fortune (on évoque 400 millions de dollars !) par Electronic Arts. Assisterait-t-on à l'apparition d'une nouvelle bulle, comme l’a été celle des jeux DS il y a 2 ans ?

Oui et non.

Oui, car, ce nouvel eldorado attise les appétits et la spéculation. On le sait, comme souvent dans ce genre de modèles liés à Internet, les premiers entrants ont beaucoup plus de chance de se faire une place au soleil.

Non, car on voit bien que l’engouement pour les réseaux sociaux dépasse le simple effet de mode. Le web participatif et communautaire continue sa marche en avant. D’autres outils, d’autres plateformes, pourraient bien apparaitre et avec eux d’autres façons de jouer, de nouveaux concepts de jeux sociaux et communicants à inventer.

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PS : autre avantage des jeux Facebook : on peut y créer de minuscules Alternate Reality Games. Ainsi Marc Veyrat (oui, je vous jure, le vrai Marc Veyrat, le chef étoilé au grand chapeau !) bosse depuis plus d'un mois comme serveur au Phoenix’s Bar, nom de mon restaurant dans Café World ! La preuve :


* merci à Olivier Lejade pour la citation  ;-)

Illustrations : Fermes de mes amies Amélie et Céline (détails). Phoenix's Bar avec la participation amicale de Marc Veyrat.