Le Guatemala se remet peu à peu de 36 ans de guerre civile. Les militants des droits de l'homme risquent encore leur vie pour défendre des principes qui paraissent acquis dans les démocraties occidentales.
Les deux avocats sont responsables de l'Office des droits de l'homme de l'archevêché du Guatemala (ODHAG), un organisme à l'avant-scène du mouvement pour les droits civiques au Guatemala. Aussi bien déplacer des montagnes. Le Guatemala, un pays de 13 millions d'habitants, peine à faire table rase d'une culture d'impunité qui profite à ses bourreaux.
En 2001, deux militaires et un prêtre ont été condamnés pour le meurtre de Mgr Gerardi. Les têtes dirigeantes de ce complot morbide n'ont jamais été inquiétées, déplore Nery Rodenas, qui était récemment de passage à Montréal avec son collègue Mario Domingo. Les menaces adressées autrefois à Mgr Gerardi leur sont aujourd'hui destinées. «Oui, notre vie est en danger. Nous le savons. Nous sommes à l'avant-scène du mouvement des droits civiques, affirme Mario Domingo en riant. On apprend à vivre dans ces conditions. Tous les jours. Si on ne mène pas ce combat, qui va le faire?»
Guerre, génocide et impunité
Des accusations persistantes de génocide à l'encontre des populations mayas planent sur les anciens dirigeants du Guatemala. À ce jour, ils n'ont pas été inquiétés par la justice. Le général Efraín Ríos Montt, qui a pris le pouvoir à la suite du coup d'État de 1982, n'a jamais été poursuivi par la justice du Guatemala, bien que de nombreuses atteintes aux droits de l'homme et deux massacres se soient produits sous son règne. Montt fut député jusqu'en 2004; le dictateur ne put cependant poser sa candidature à l'élection présidentielle de 2003.
Selon Nery Rodenas et Mario Domingo, le fruit n'est pas mûr pour la constitution d'un Tribunal pénal international pour le Guatemala, sur le modèle du Rwanda ou de l'ex-Yougoslavie. «La situation au Guatemala est différente. L'armée au Guatemala a gagné la guerre, et elle est toujours en contrôle de la situation», affirme M. Domingo. Il demeure cependant convaincu qu'un génocide a bel et bien labouré les terres ensanglantées du pays. Des villages entiers ont été rasés dans les communautés aborigènes. Hommes, femmes et enfants ont été massacrés. «C'était similaire à l'arrivée des Conquistadors espagnols», résume M. Domingo.
Commission de l'ONU
La CICIG dispose d'un court mandat qu'elle accomplit de concert avec le système judiciaire local et le Bureau du procureur public. Nery Rodenas accorde une grande importance aux travaux de cette commission de l'ONU. «Elle a fait véritablement des enquêtes sur les groupes criminels, les groupes au pouvoir, même si elle a eu peu de temps pour y parvenir, estime-t-il. Il est très important que les gouvernements étrangers appuient la CICIG. Nous espérons qu'ils pourront exiger la mise en oeuvre des recommandations de la Commission sur le recouvrement de la mémoire collective, l'épuration des corps de sécurité et la cessation des inquisitions de l'État et de la justice.»
Le Guatemala a besoin d'appuis de la communauté internationale, explique Nery Rodenas. Il en va de la pérennité des institutions civiles, qui demeurent toujours fragiles. Le Centre international pour la prévention de la criminalité (CIPC) a pu le constater lors d'une mission réalisée avec la collaboration de l'Open Society Institute et la Fondation Soros Guatemala. Dans ce pays marqué par la violence (le taux d'homicide y est 25 fois plus élevé qu'au Canada), la population entretient une certaine défiance à l'égard des institutions. «La culture démocratique est trop peu ancrée, et les "élites" du pays ne paraissent pas mobilisées autour de cet objectif. À l'exception de la CICIG, la communauté internationale, très présente, ne serait paradoxalement pas toujours très exigeante quant aux résultats obtenus avec les financements alloués [en prévention de la violence]», constate le CIPC dans son rapport publié en septembre dernier.
«La violence favorise les éléments les plus réactionnaires d'une société, tétanise la population et l'empêche de s'organiser et d'agir», enchaîne le rapport du CIPC. Nery Rodenas en est trop conscient. «Aucun gouvernement n'a réussi à réduire le niveau de violence au Guatemala. Le risque, c'est que la population veuille élire un gouvernement autoritaire et répressif, qui serait peut-être capable de réduire les taux de violence, mais qui ne pourrait éliminer les origines de la violence. Il faut s'attaquer aux causes structurelles. Nous n'obtiendrons pas ces changements seuls. Nous avons besoin de l'appui de la communauté internationale, simplement pour s'assurer que l'État du Guatemala soit fonctionnel», conclut-il.
Source Le Devoir