Et vogue le navire ...

Par Jb
Voici quelques mois, il y avait ceux qui trouvaient normale l’escapade de Nicolas Sarkozy, à peine élu, sur le yacht de son pote Vincent Bolloré. Et puis les autres, vaguement choqués au nom de je ne sais quel principe moral. Je faisais partie de cette deuxième catégorie.
Dans les jours qui viennent, il y aura sans doute le même affrontement entre ceux qui seront pour l’augmentation du salaire du Président (+ 140% : il atteindra les 19.000 euros par mois) et ceux qui s’avoueront un peu heurtés. Je ferai, là encore, partie de cette deuxième catégorie.
Bien sûr, on me dira que ma réaction est absurde, qu’il est normal que le Président de la République Française gagne plus que son Premier Ministre (lequel toucherait 224.000 euros par an) ; qu’il est normal que le Président de la République Française gagne à peu près autant que ses homologues européens et américains (Bush toucherait 277.000 euros par an) ; qu’il est très sain, sur ces questions, qu’il y ait plus de transparence.
Dans la foulée d’ailleurs, on annonce une augmentation du budget de l’Elysée. Mais toujours dans la plus grande transparence, bien sûr. Nicolas Sarkozy insiste : il veut un contrôle strict du budget de l’Elysée par la Cour des Comptes. C’est tout à son honneur.
Et pourtant… Sans sombrer dans la démagogie ni le populisme, je me dis que cette décision est doublement contestable.
1/ Dans l’absolu d’abord. Ce n’est pas parce que, partout autour de nous, l’hybris financière enfle de plus en plus et sombre dans la démesure ; ce n’est pas parce que M. Sarkozy et ses collègues qui ont embrassé la carrière de haut fonctionnaire de l’Etat sont éventuellement frustrés de voir que certains de leurs ex-camarades de promo, qui sont dans le privé, s’en mettent plein les fouilles en rémunérations et autres stock options ; ce n’est pas parce que le Président de la première puissance mondiale, dont une grosse partie de l’idéologie est basée sur l’argent et la réussite, touche des salaires imposants ; ce n’est pas pour cela qu’il faut enfourcher ce cheval-là.
Pour ceux qui diraient que mon raisonnement a quelque chose de "révolutionnaire", voire de communiste, je remarquerai quand même que M. Sarkozy et ses collègues sont nourris, logés, blanchis et ultra-blanchis, qu’ils sont depuis des années et des années maires, députés, ministres, etc. Que, dans ces conditions, leur patrimoine financier est probablement plus que confortable puisque les certes maigrelettes sommes qu’ils gagnent, ça n’est somme toute que de l’argent de poche. Ne parlons même pas des privilèges et des "à-côtés" que leur fonction autorise, cf le train de vie très monarchique des palais et hôtels particuliers que ces messieurs occupent, cf quelques jours tous frais payés sur le yacht d’un ami, ou dans des hôtels de luxe, etc.
2/ Dans le contexte actuel ensuite. Alors même que la politique économique et fiscale du gouvernement (pack fiscal et compagnie) a été contestée par plus d’un économiste et que son efficacité reste à démontrer, alors même que la France va bien devoir finir, un jour ou l’autre, par remettre de l’ordre dans ses finances publiques, alors même que des signaux forts ont déjà été lancés vis-à-vis de certaines catégories (fonctionnaires en tête) pour affirmer que des efforts et des serrages de ceinture sont indispensables, doubler le salaire de Nicolas Sarkozy va évidemment mettre de l’huile sur le feu.
Même pour des gens (comme moi) convaincus que des efforts sont indispensables, que chacun doit mettre de côté les réflexes corporatistes et accepter certains sacrifices et certaines adaptations, même pour ces gens-là, raisonnables, pareilles pilules sont dures à avaler. Comment croire encore à des discours creux, téléphonés et vides de sens sur l’effort collectif, sur la réforme de la fonction publique, lorsque le train de vie des plus hauts agents de l’Etat atteint de tels sommets et que, parallèlement, le pouvoir d’achat du commun des mortels stagne voire régresse ?