Rue du hip-hop

Publié le 05 décembre 2009 par Www.streetblogger.fr

Je cherchais depuis un petit moment l’adresse qu’on m’avait indiquée. J’avais beau tourner dans le quartier je ne trouvais pas cet endroit dont un de mes amis m’avait vanté le caractère exceptionnel. Je me rappelais très bien ses propos : « Tu verras c’est un endroit formidable, un endroit où tu trouveras l’essence même de la musique hip-hop ! »

Rien que l’idée m’excitait, trouver un endroit où se situait l’essence même de la musique hip hop, j’en avais l’eau à la bouche. A vrai dire je ressentais ce frisson qui partait du haut de ma nuque et courait le long de mon épine dorsale jusqu’au creux de mes reins, cette sensation intense pareille à celle que j’éprouve en contemplant la nudité d’une femme juste avant de m’allonger à son côté.  Je me sentais excité comme un môme lors de sa première fois, tout en me disant que quelque part la musique est bien plus intense que le sexe parce qu’elle procure des orgasmes qui durent des années, parfois l’espace de toute une vie.

Je cherchais donc ce fameux lieu. J’avais beau parcourir la rue que mon ami m’avait indiquée, je ne voyais qu’une bâtisse à l’abandon, une vieille bâtisse aux murs décrépis, à la façade délabrée recouverte de graffitis témoignant plus de l’ennui profond que d’une volonté artistique affirmée.

J’avais remonté la rue en sens inverse et consulté un plan de la ville trouvé au dos d’un panneau publicitaire. Après y avoir repéré la pastille de couleur m’indiquant ma position j’avais scrupuleusement suivi le tracé de la rue pour être sûr de ne pas me tromper et trouver enfin l’adresse à laquelle il me tardait tant de me rendre.

Je suis reparti en notant scrupuleusement l’itinéraire à suivre sur un morceau de papier que je ne quittais des yeux que pour consulter les plaques logées en haut des murs qui marquent le coin des rues, et qui indiquent justement le nom de celles dans lesquelles on se trouve ou dans lesquelles on va s’engager.

J’avais tourné au bon endroit, dans la bonne rue en suivant la bonne direction mais je m’étais encore retrouvé devant la bâtisse en ruines.

J’ai répété l’opération plusieurs fois, retourner au plan, noter l’itinéraire, le suivre scrupuleusement ; rien n’y faisait je me retrouvais toujours devant cette vieille bâtisse.

Ça ne pouvait être là, l’endroit dont m’avait parlé mon ami se situait forcément dans un immeuble propre, ultramoderne, design et à la mode. Je veux dire un endroit branché avec une devanture aux vitres polies et aux lumières agressives traduisant la vigueur étincelante du hip hop actuel qui oscille entre complainte bourgeoise et hymne de la confrérie des « je m’en bats les couilles » (une société secrète qui avait juré la perte du verbe, de la musique, mais surtout du sens).

Les lieux huppés où s’étalaient dorénavant la culture hip hop n’avaient rien à voir avec cette sinistre construction qui s’élevait devant moi et qui, au vu de son état de délabrement, sans aucun doute ne tarderait pas à s’effondrer.

S’il ne possédait rien d’un centre culturel ou d’une galerie chic, l’édifice n’était pas non plus semblable à une de ces caves obscures dans le fond desquelles l’ignorance la plus crasse se mêle à l’avidité la plus outrancière et produit des refrains dont l’énonciation est encore plus miséreuse que le degré zéro des idées qu’ils colportent.

Je me fis soudain la réflexion que mon ami ne m’avait aucunement dit que je trouverais là où je cherchais, pour le moment, en vain à me rendre, l’essence du hip hop actuel. Il n’avait pas précisé de période.

Fatigué de mes incessants allers retours au plan du quartier et à la bâtisse, je décidais d’hasarder un pas dans le terrain vague qui s’étendait au pied de cette dernière.

Je redoutais de croiser dans cette enceinte repoussante, à cause des herbes qui avaient poussé dru sur presque tout le périmètre, une quelconque bête vivant là abandonnée par ses anciens maîtres et qui était retournée à l’état sauvage. Un chien ou un chat errant prêt à bondir toutes griffes ou tous crocs dehors et désireux de me défigurer ou m’arracher un bout de chair quelconque en me prenant pour un des gibiers trop rares qui devaient passer à sa portée.

Rien de tel n’arriva. Rassuré par le fait qu’aucun danger de ce type n’ait surgi, je poussais plus avant mon exploration.

Arrivé au bout de la cour j’entendis un son qui semblait émaner des soubassements du bâtiment. Un son qui m’interpella, un son qui était à la fois lamentation et invective, un son qui disait dans le même temps une profonde détresse et une puissance indomptable. Un son dans lequel je jurais entendre un chœur d’hommes en transes au cœur de la savane africaine tout autant que les hurlements atroces d’une meute de chiens menée par des hommes encagoulés poursuivant un malheureux, qui voulait échapper au bûcher ou à la pendaison, que lui promettaient leurs rires cyniques et leurs discours scabreux.

J’entrais dans la bâtisse à la recherche de cette source sonore,  qui était le bruit et la fureur, la foudre, le tonnerre et la tempête. J’arrivais devant une pièce dans laquelle un orchestre composé d’un batteur, d’une pianiste, d’une contrebassiste, d’un trompettiste et d’un saxophoniste, jouait. Il y avait une banderole accrochée au dessus de l’estrade exiguë où ils se produisaient sur laquelle je pouvais lire : « B-Boy Welcome Home ».

Merci à Guillaume Laborde pour l'illustration

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