Belle de jour et anthropologue

Publié le 06 décembre 2009 par Scienceblog
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a a fait scandale en Angleterre : une chercheuse se prostitue pour gagner de l’argent et continuer son sacerdoce. Elle devient son propre sujet d’étude. Elle est interviewée dans le Guardian et raconte sa double vie aussi dans son blog. Bon, faut bien le dire, elle profite du buzz actuellement, car elle a également publié un livre de conseils : « Belle de jour’s guide to men« .

A la lecture de son blog, son travail ressemble aussi à de l’anthropologie. Elle change son sujet d’étude, mais pas son cerveau de chercheuse. La bonne ou mauvaise qualité de l’étude (je ne suis pas spécialiste du domaine), ou son sujet n’enlèvent rien à la méthodologie (et ces commentaires n’ont aucune espèce d’ironie ou de cynisme). On peut lire ici ou là que c’est un objet de scandale, une chercheuse qui parle de sa « vie nocturne ». Dans un billet de Tom Roud grâce à qui j’ai eu connaissance de cette histoire (merci Tom), on peut lire : « mais lorsque même des doctorants/docteurs se prostituent pour l’argent, peut-on dire qu’il y a vraiment quelque chose de pourri dans le monde de la recherche en particulier et dans notre société en général ? ».

D’une part, lorsqu’on se prostitue c’est pas pour autre chose, c’est un métier. D’autre part, je connaissais déjà le phénomène lorsque j’ai commencé mes études (il y a plus de 25 ans) : lorsqu’on est jeune chercheur ou chercheuse, qu’on vient de classe populaire, et qu’on arrive pas à être boursier ou boursière, ben il faut bien trouver un moyen pour vivre. Ce n’est donc pas un phénomène nouveau, et sans être habituel, il a bien des racines et des raisons d’exister. Être à la fois femme et pauvre dans un environnement qui reste encore largement corporatiste, ce n’est pas du gâteau.

Selon une camarade de travail qui est Maître de Conférences : « J’ai bien eu de la chance !! Je suis passée comme on y arrive parfois, avec honnêteté, sans magouillerdans un labo pour me faire bien voir, et sans coucher. Sinon, j’aurais jamais réussi, je ne sais même pas comment on fait … C’est rare, je sais. » Cette difficulté à se comporter de façon honnête dans un labo, je l’ai expérimenté avec moins de chance que ma camarade, et j’en ai tellement entendu de la bouche de thésards qui n’arrivaient pas à continuer leurs recherches … Par dépit, certains changent d’orientation, ou vont dans le privé, ou …

Comme l’indique également Tom à la fin de son billet « Remarquez, d’aucuns vous diraient qu’aller mendier de l’argent pour ses recherches auprès de partenaires industriels, c’est aussi une forme de prostitution. » En fait, pour pas mal de chercheurs, beaucoup d’actes de recherche s’associent à de la prostitution, ce qui est normal : on leur assurait la tranquillité du cartésianisme, alors que la négociation, la politique de labo, la préemption de dossiers de financements sur d’autres sont quelques une des mamelles qui font que le chercheur, d’un certain point de vue, aura du mal à se regarder certains jours dans le miroir. En comparaison, Belle de jour est plus tranquille : c’est son sujet d’étude qui lui rapporte de l’argent. Quel mal à cela ?