Récréation

Par Diekatze

Quoi ? Quoi ça fait neuf jours que je n’ai rien publié ? Ce n’est pas la peine de me faire ces yeux-là, ça creuse vos rides au milieu du front. Et puis, même pas peur !

C’est que voyez-vous, aussi incroyable que cela puisse paraître, je suis débordée. Mais oui. Pas comme vous, non. Je n’ai pas à me jeter du lit directement dans mon string, boire mon café tout en habillant le petit qui dort tout debout, couper court aux bavardages de la nourrice, râler dans les embouteillages, perdre plus de huit heures de ma journée à m’investir à fond dans un travail qui, finalement, ne m’intéresse pas plus que ça, râler encore une fois dans les embouteillages, récupérer le petit qui braille, aller faire des courses de dernière minute, m’énerver sur la dernière facture de téléphone, mettre le petit dans le bain, préparer le repas, accueillir joyeusement mon mari (dans les clichés, les maris rentrent toujours bien après les épouses, vous avez remarqué ?), manger debout, aller coucher le petit, retourner calmer le susdit qui ne veut pas dormir, et enfin m’installer confortablement devant une bonne émission bien débile, pour me détendre en repassant quelques chemises. Non, je suis débordée mais pas comme ça.

Lorsque l’on s’accorde une liberté totale, complète, sans restriction aucune, sans obligation, sans chef (arf !), on risque de se noyer très vite dans un ennui mortel. Risque aggravé si on décide de jouir de cette liberté dans un pays lointain, où on ne connait personne. Alors, après avoir baguenaudé avec insouciance pendant un mois, puis lézardé sans culpabilité tout un autre, on est confronté à la question obligatoire et déprimante de l’être désœuvré et sans but : « Mais qu’est-ce que je fous là ? » et on commence à s’activer un peu. On refait le point sur ce qu’on a vraiment envie de faire. Et on organise ses journées.

8 heures : lever. Café (enfin substitut de café, une vraie misère, merci mon ulcère…). Ordi. Lecture des e-mails de France amoureusement rédigés par quelques fidèles pendant que je dormais. Joie. Puis lecture des autres messages, et aussi glandouille totale pendant une bonne demi-heure, histoire de laisser au (substitut de) café le temps de réveiller tous les neurones (il y en a quand même quelques milliards à secouer tous les matins, c’est quelque chose !). Ensuite, boulot ! Ben oui, c’est humain, ça, messieurs-dames, l’humain travaille, tout comme le requin dévore, la poule pond, le chien renifle les culs et le pigeon vous chie sur l’épaule. Chacun sa caractéristique. L’humain, lui, c’est le taf, la besogne, le turbin. En ce qui me concerne, je suis donc j’écris, si possible pendant trois heures, souvent moins car dame ! la paresse est hélas l’autre attribut de l’humanité… Quoi ? Oui, j’écris tous les matins ! Il n’y a pas que les blogs dans la vie !

Après ça, il faut se doucher (obligatoire) et surtout manger (inévitable). D’autant que je me suis équipée suffisamment pour que ce mot ait de nouveau un sens. En conséquence, la préparation des repas a repris une place non négligeable dans mon emploi du temps.

Puis l’après-midi démarre, et là, c’est récréation, et ça, mesdames z-et messieurs, ça occupe, mais ça occupe ! Tiens par exemple, mardi après-midi.

Avant de quitter la France, je m’étais promis que, sauf prix excessifs, je profiterai de mon séjour en roue-libre et en Nouvelle-Zélande pour apprendre à monter à cheval. Me voilà donc partie, mardi dernier, par les routes de campagne, sous un soleil de plomb (particulièrement violent ici, où paraît-il, nous évoluons innocemment sous un big trou dans la couche d’ozone, et ça se sent ! La Nouvelle-Zélande a le taux de cancers de la peau le plus élevé au monde, c’est dire). Pas très loin de chez moi, une jeune femme propose d’apprendre à communiquer avec le cheval plutôt qu’à le commander. Elle développe ce qu’elle appelle le « horsemanship » (les spécialistes en anglais se feront un plaisir de nous proposer une traduction à ce mot magnifique), elle monte sans selle et n’utilise pas de mors. Pourquoi pas ? Je roule tranquille, quand soudain, devinez quoi, la route s’arrête net et se transforme en… caillasses et graviers en tous genres ! Ca vous rappelle quelque chose ? Sauf que cette fois je n’étais pas perdue, et j’ai dû me taper 6 kilomètres de ce chemin anti-Toyota avant de trouver la maison verte dont la jeune femme m’avait parlé. Je me gare (c’est-à-dire je pose ma voiture sur un talus) et je m’avance vers la maison. On dirait qu’il n’y a personne, et pourtant, Caitlin sait que je viens.

Timidement, je m’approche de la maison. Je trouve l’entrée, ouverte sur une petite terrasse en bois. Un chien dort profondément et ne se réveillera pas à mon approche. Je me demande s’il n’est pas mort mais non, une oreille a remué. Comme rien ne bouge hormis l’oreille du chien, je m’approche encore et me voici au seuil d’une grande pièce, encombrée de bric-à-brac et d’un certain nombre d’individus. Et là, on était tout à fait dans l’esprit « Golden Bay ». Il y avait là une dizaine de personnes, moitié adultes, moitié enfants. Assis par terre, ils formaient une sorte de ronde immobile, en se tenant la main, autour d’un amoncellement de nourriture (entièrement végétale, je suppose). C’était joli le vert clair des rondelles de concombres et l’orange des carottes râpées, on aurait nourri une colonie de vacances avec tout ce qu’il y avait. J’avoue avoir été intimidée par ce groupe en communion mystique autour d’immenses saladiers. Ils avaient l’air concentré, ils ne parlaient pas. Visiblement, je jouais à l’éléphant dans le magasin de porcelaine.

- Hi ! Je cherche Caitlin !

Une jeune femme se tourna vers moi, avec un grand sourire très lent, très doux, et m’annonça qu’elle en avait pour un instant. « Nous finissons de dire les Grâces, et je suis à toi. » Au mot de Grâces, j’ai eu comme un mouvement de recul machinal. « À moins que tu ne veuilles te joindre à nous », continua-t-elle en me tendant la main. Comme piquée par une guêpe, j’ai aussitôt décliné et j’ai bondi dans le jardin pour m’y réfugier. J’ai beau mettre un point d’honneur à entretenir une certaine ouverture d’esprit et plus encore depuis que je suis ici, accepter ne signifie pas forcément participer, et il y a des limites que je n’ai pas particulièrement envie de franchir. J’avoue à ma grande honte qu’une fois à l’abri de leurs regards, je n’ai pas pu m’empêcher de ricaner, ce qui est très vilain, et surtout ridicule. Chacun cherche à être heureux à sa façon, et leurs prières ne me font aucun mal, mais simplement, je crois qu’ils ont réveillé quelques vieux stéréotypes comiques en moi. Qu’on se rassure cependant, je me suis, comme il se doit, flagellée aux orties plus tard dans la journée, pour me punir de cette vile moquerie.

Finalement, Caitlin a mangé très vite et nous sommes allées voir les chevaux. Superbes, une bonne quinzaine de ces majestueux animaux batifolaient en liberté dans leur enclos démesuré, et nous étions toutes les deux au milieu de cette joyeuse troupe de géants. Je précise que j’ai un peu peur des chevaux, ce qui n’aide pas. Je ne peux pas m’empêcher de penser qu’ils pourraient me tuer d’un simple coup de sabot, et dès qu’ils s’agitent un peu je crois ma dernière heure arrivée. Caitlin parlait d’une voix doucissime, énervante au début mais apaisante finalement. Et vu que je n’étais pas très à l’aise, une corde à la main, un cheval gigantesque au bout de la corde, il valait mieux probablement qu’elle soit très calme.

Pendant une heure et demie, j’ai erré au milieu des chevaux, j’ai fait la connaissance de Shishonee et d’Amber, j’ai caressé des museaux, gratouillé des croupes, essayé de faire reculer Amber, puis de la faire tourner en rond, et j’ai même réussi à poser mon postérieur pendant une minute sur le dos poussiéreux de Shishonee. Je précise toutefois que l’animal n’a pas bougé, nous sommes restées bien sagement, la jument, sa maîtresse et moi tout près de la barrière qui m’avait servi de marchepied. Je reconnais avoir passé un moment formidable, riche en émotions, 90 minutes de pureté. Les animaux, lorsqu’ils entrent en contact avec vous ne s’intéressent pas à ce qui vous connecte habituellement, au premier abord, aux autres humains. Ils se fichent de savoir de quoi vous avez l’air. Directement, ils parlent à quelque chose de vous qui est enfoui, intime, vrai. Pas de chichis, pas de faux-semblants. C’est vous, et vraiment vous qui êtes là, à leur parler, à les regarder, à recevoir leur coups de têtes amicaux, à bénéficier de leur patience infinie. Pour un peu je serais allée dire les Grâces !

Toujours est-il que tant d’émotions, cumulées à l’intense flagellation méritée que je me suis imposée avec une jubilation malsaine en rentrant, ça épuise. Alors une fois à la maison, au lieu d’écrire vite fait un article pour vous, mes fans avides, je me suis vautrée lamentablement sur le canapé inconfortable, un livre à la main, et comme c’était passionnant, le temps a filé en silence et bientôt ce fut l’heure de préparer le deuxième repas de la journée. Jalousez-moi, fidèles lecteurs ! Car pas de chef = si t’as pas envie de bosser, tu n’as qu’à pas bosser !

Hier, je suis allée assister en spectateur à un autre cours d’équitation, beaucoup plus classique celui-là, et accessible par routes goudronnées ( ! ). Je commence mercredi prochain (sauf s’il pleut, ce qui est malheureusement assez fréquent ces derniers jours). Je vais donc commencer par quelques leçons traditionnelles, puis, lorsque j’aurais pris un peu d’aisance, je retournerai voir Caitlin et ses amis, et j’essaierai de monter à cru. Je ne peux décemment pas passer à côté de ça…

Hier toujours, je suis allée à un cours de danse un peu particulier, super sympa, qui mixe arts martiaux, yoga, danse et encore plein de trucs dont je ne me rappelle plus. Je vous en parlerai peut-être une autre fois.

Et aujourd’hui, c’est cat-sitting (nounou pour chats). Débordée, je vous dis.