Anish Kapoor à la Royal Academy of Arts de Londres

Publié le 10 décembre 2009 par Elisabeth1

C’est une fascinante symphonie d’illusions qu’Anish Kapoor a composée à la Royal Academy de Londres. Considéré comme l’un des plus grands sculpteurs vivants au monde, ce Britannique d’origine indienne y rassemble ses créations des dix dernières années, jusqu’aux plus récentes, inédites. Pigments impalpables et implacables, antres qui gardent leur secret, tragédies de cire rouge…

C’est en ces termes que nous annonce, Emmanuelle Lequeux, l’exposition d’Anish Kappor dans Le Monde.

Je ne pouvais manquer cela. Forte de mes expériences passées et munie de multiples conseils de mes amis et ennemis pour affronter la sécurité de Gatwick, je m’y suis rendue.

L’immense grotte qui accueille le visiteur dès ses premiers pas : un monstre ovoïde d’acier rouillé, percé d’une large fente menant vers une obscurité impénétrable. Il semble la matrice de tous ses congénères, nés dans le silence pour interroger la possibilité d’un sublime contemporain. Parfois organiques, parfois minimales, les sculptures créent une véritable machinerie à perception, une machination où se perdre. Comme c’est joliment exprimé, moi je pensais en m’en approchant un peu plus, à un anus géant, ma foi vertical, menant vers l’inconnu, l’obscure mystère de l’après. Autre est cette vulve mandorle – Slug - géante au bout d’une circonvolution d’intestins qui se dessine dans l’espace.

La suite le confirme. Est-ce ce qu’il a voulu nous rappeler avec ses sculptures les plus récentes, créées spécialement pour l’exposition ? Dans ce contexte plein de superbe, elles ne manquent pas de surprendre. Nouilles grises, intestins blanchâtres, larves ou excréments bruns s’y accumulent pour former des rectangles de béton ouvragé, conçus à l’aide d’un logiciel ultrasophistiqué. C’est un rien dégoûtant, mais drôle, le public, se complait et se repaît à déambuler au milieu des sculptures. Il semblerait que Kapoor, qui a su faire de la séduction un art, s’en lasse soudain pour revenir à une laideur originelle. Marre d’être trop poli ?
Polis les miroirs et particulièrement déstabilisante, une autre salle réunit de nombreuses sculptures en miroir. Courbes, concaves, convexes, ronds ou cubiques, dorés à la feuille ou argentés, ils inversent et métamorphosent le monde alentour en un labyrinthe de reflets. Ici le public est plus timide et ose à peine s’approcher, les photos sont interdites, dommage car les effets sont particulièrement intéressants, mais je me débrouille…

Jean de Loisy, commissaire de l’exposition londonienne,:

 “Anish Kapoor atteint des interrogations métaphysiques à travers des moyens matériels. Ses miroirs composent comme un drame cosmique, un jardin philosophique. Hier comme aujourd’hui, il continue de nous emmener dans un temps non humain.”

L’artiste lui-même insiste sur l’ambiguïté de ses oeuvres :

 “Comme dans le monde baroque, confie-t-il, l’apparence est décorative, tout en surface, mais en dessous se cache un sombre secret ; la décadence et l’entropie ne sont jamais bien loin.”

Envahissant une des cimaises, une profonde lacune jaune d’or joue de l’illusion : est-elle en volume ou en creux ? Trompe l’œil ? Absence ou présence ? il faut s’en approcher pour voir sous l’œil amusé du gardien que c’est un creux.
 Même trouble devant ce mur littéralement enceint, la bulle blanche qui en surgit sur fond blanc, me semblait tout d’abord, un oubli, une erreur, une maladresse d’un visiteur de fin d’exposition, elle s’efface tout d’abord, pour s’imposer au regard après quelques instants, elle se mérite.
Les sculptures taillées dans le pigment, les plus anciennes de l’exposition, ramènent aux origines de l’oeuvre, dans les années 1980. Tour de Babel vrillée, arbres schématisés, pics crénelés : de leur poudre rouge, noire ou jaune, ces objets dessinent un paysage au zen malmené. Impossible de concevoir comment ces formes pulvérulentes tiennent debout, architectures impalpables. Une envie : caresser leur peau fragile, mais interdiction formelle des gardiens.


Dans une autre salle les visiteurs sont amassés devant un canon. On a beau s’y attendre après avoir observé les gestes méticuleux et solennels d’un pseudo-artificier tout de noir vêtu, avec une coupe de cheveux que j’arborais il y a 20 ans,  qui a pris tout son temps pour chauffer le canon, y introduire la cire couleur lie-de-vin puis l’armer, la puissante détonation qui s’ensuit fait immanquablement sursauter. Et c’est exactement l’effet recherché par Anish Kapoor dont l’exposition est ainsi ponctuée toutes les vingt minutes par les tirs sporadiques de ce canon, comme l’était chaque journée passée dans les avant-postes de l’empire britannique.
Une pensée qui fait sourire l’artiste originaire de Bombay, surtout quand on lui demande si le fait de tirer à boulets rouges sur les murs d’une des vénérables institutions de Sa Majesté ne serait pas pour lui une façon de régler ses comptes avec l’Histoire :

« Je reconnais que cette exposition est une manière pour moi de titiller un peu l’Establishment britannique, si c’est bien ce que représente ce bâtiment de la Royal Academy ! Mais j’espère surtout que c’est une provocation qui a trait à l’espace et ce qu’il est possible de faire avec un bâtiment, mais aussi en sculpture. L’aspect politique est présent ici, mais ce n’est pas là-dessus que j’ai voulu mettre l’accent »,

rétorque d’une voix douce Anish Kapoor. Exit donc l’aspect revanchard de cette œuvre intitulée Shooting in the corner, qui est d’ailleurs ordinairement exposée au Musée des arts appliqués de Vienne, et que l’artiste voudrait plutôt voir interprétée comme une fable sur la naissance de la peinture.

Clou de l’exposition, un majestueux wagon arpente lentement cinq des salles de l’institution. Façonnée dans une cire rouge et grasse, la sculpture se laisse bouleverser à la vitesse d’un glacier par les murs et les arches qui s’y frottent ; elle change peu à peu de forme, en une transformation qui évoque la force du destin. C’est ici l’architecture qui fait oeuvre, plus que l’artiste. Espiègle, Anish Kapoor, après nous avoir déstabilisés dans ses miroirs baroques, nous fait plonger dans l’inévitable destruction physique et fin pas très ragoûtante de l’existence,  avec des vanités et autre memento mori.

Belle exposition, se situant dans un magnifique cadre et dans un superbe quartier de Londres, avec des boutiques sous les Arcades de Burlington et au-delà…..
Au retour la sécurité n’a pas manqué de me palper, examiner minutieusement mon sac et tout son contenu, me faire quitter mes chaussures pour les faire repasser au détecteur de mensonges.

photos de l’auteur et scan du catalogue

se termine le 11 décembre 2009