L’Identité Nationale dans le bus

Publié le 20 décembre 2009 par L12s

Le buzz orchestré par Éric Besson a ceci de frappant qu’il fait réagir tout le monde, partout, tout le temps. On est loin de la politique politicienne ; ce dernier tabou sociétal, celui de l’immigration, vient de tomber posant une chape de plomb sur le climat social. Le débat, on le ressent tous les jours, partout où des gens de milieux, de confessions et d’âges différents se côtoient, comme dans le bus. Observations par Nicolas Georges, moraliste piéton.

Mes fans (ils sont nombreux, je le sais bien) savent déjà que je suis un grand usager des transports en commun. Je pose mon fondement (ou pas quand il y a trop de monde) sur les sièges en plastique de la Régie des Transports Marseillais de 2 à 4 fois par jour. Pendant les trajets, on regarde défiler les kebabs, les boutiques de l’OM et les fleuristes ou, si on est un salopard, on préfère observer le comportement des uns et des autres dans le bus. Le mien passe par le centre-ville pour s’échouer dans un quartier plutôt résidentiel en passant par deux lycées techniques, bref, il embarque des très vieux et des très jeunes, des très blancs et des très noirs puis tout ce qu’il y a entre aussi.

Un soir, me pelotonnant dans mon manteau dans un coin d’abribus, je vois un rebeu, la vingtaine, avec un Levis et des TN Requin, demander à une mamie gâteau sexagénaire si le bus est passé. Elle répondra un faible « chépo » dans une attitude de recul total. Le jeune tourne les talons et cinq pas plus tard, il se tourne et crie « J’SUIS PAS COMME LES AUTRES, HEIN! ». C’est là que j’ai compris, une évidence m’a pété à la gueule: le débat sur l’Identité Nationale a déjà eu lieu depuis longtemps. Il est réglé depuis des années dans la tête des français de toutes confessions et les conclusions de ce débat s’appliquent dans le bus.

On ne dirait pas comme ça, mais il y existe une sorte de règlement tacite très strict dans cette grande poubelle roulante jaune et bleue. Les viocs se placent sur les sièges de devant ou sur le coté et ils discutent de sujets variés (du twist final du dernier « Louis la Brocante », du chien de la voisine et d’autres débats de fond). Les jeunes, ceux qui vont au lycée technique, ils règnent sur le fond, on les reconnait à leurs joggings dégueulasses et à Booba ou Magic System qui hurlent dans leur portable en saturant. Là, ça braille sur le dernier match de l’OM ou la dernière exclusion de l’un ou de l’autre (« Sur les yeux de ma grand-mère, j’ai failli la tarter la prof d’Histoire ste paillote »)*.Entre les deux tribus, debout, on trouve votre serviteur et à peu près tous les autres gens qui ne sont plus assez jeunes pour porter du Nike et pas encore assez vieux pour mater France 3 le soir (accessoirement, on trouve aussi quelques fous qui marmonnent, n’oublions pas que nous sommes à Marseille).

Mine de rien, c’est dans le bus (et tout autre lieu public, mais celui-ci est cloisonné, mettant tout le monde face à face) que s’entrechoquent aussi violemment des castes sociales aussi diamétralement opposées, et la réaction de tous est particulièrement passionnante à observer. Il est intéressant de constater que chacun se regroupe avec ses semblables dans un coin bien défini du lieu. L’idée, c’est de se tenir le plus loin possible de l’autre.

Eric Besson devrait faire un tour dans le bus 81, il constaterait que son débat sur l’Identité Nationale (qui est finalement surtout celui sur la différence) est déjà réglé et qu’il est déjà mis en échec. Les gens ne se mélangent pas, il n’y a rien de commun entre Marise et Mouloud, à part la première lettre de leurs prénoms, la couleur de leur carte d’identité et un vague mépris réciproque. Une décision politique clairvoyante serait de s’en rendre compte, et de faire avec.

*: Tout ça parait très cliché, facile et inventé mais non, ce n’est que la banale, simple et morne vérité du quotidien.