Les temps modernes

Par Grocher

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Charlot est un ouvrier zélée. Il effectue un travail à la chaîne dans une grande entreprise. La production et le chiffre d'affaire étant bien entendu les principales préoccupations de la direction, celle-ci ordonne une augmentation des cadences. Avec ce rythme effréné, le petit ouvrier ne peut tenir une cadence aussi soutenue. Les conséquences deviennent de plus en plus alarmantes pour lui. Travaillant à la chaîne, il tombe sur le tapis roulant avant de se faire engloutir dans les rouages d'une énorme machine. Après cette mésaventure et usé par les tâches répétitives, il devient fou et agité, se mettant notamment à danser et à courir avec une clé afin de serrer tout ce qui peut lui faire penser aux boulons qui défilent de plus en plus vite sous ses yeux. Ce dérapage le mène tout droit à l'hôpital psychiatrique où il sera interné. A sa sortie, notre ouvrier se retrouve au chômage. A la suite d'une confusion lors d'une manifestation de grévistes, il se fait arrêter par la police et emmener sans ménagement en prison où, par coïncidence, il va mettre fin à une émeute. Il hérite en prime d'une cellule plus confortable. Libéré, Charlot se fait volontairement arrêter afin de retourner en prison. Lors du trajet, il rencontre " la gamine ", mineure et orpheline. Tous deux arrivent à s'enfuir, bien décidés à faire route commune. Malheureusement leur chemin sera parsemé d'embûches, les lois du pays n'étant pas du côté des pauvres...

L'affiche de cette oeuvre porte un sous-titre fort révélateur de l'espérance de toute la classe laborieuse de cette époque de grande récession économique qui  secoua l'Amérique :  "L'humanité à la recherche du bonheur".  Mais où est il donc et quand va t-il pointer son nez ce bonheur auquel tant de personnes aspiraient ? En fait celui-ci n'est qu'une utopie pour notre petit ouvrier qui n'a de  privilège, comme tant d'autres, que celui de travailler sans compter  jusqu'à l'usure,  sous les ordres "d'hommes de main" à la solde des tous puissants patrons agissant sans foi ni loi, profitant de la haute bienveillance de dirigeants de l'Etat dont les pensées sont bien loin des réformes sociales. Comme ses compagnons d'infortunes, notre petit ouvrier au chapeau melon est muselé, robotisé à l'image des machines qui l'entourent et qui l'obligent à tenir des cadences infernales dans son activité professionnelle. Le droit d'expression est inexistant et seule la ruse peut venir combler ce fossé. Cette société crée des ravages parmi ceux qui sont restés du mauvais côté du mur et qui sont malheureusement les plus nombreux. Ceux-là, avides de trouver un travail pour quelques sous, sont  corvéables et exploitables à souhait. Un monde rempli de cruauté et de méchanceté se dresse devant eux. Le petit ouvrier ne tient plus, il explose, il se rebiffe, il agite le drapeau rouge, celui de la révolte de ceux qui veulent crier leur désespoir et leurs espoirs. Le seul interlocuteur reste dans ce cas la police et le seul asile, la prison et là où la situation devient terrifiante, c'est, qu'ayant purgé sa peine, notre homme fait son possible pour ne pas retourner à la rue. Ce pauvre bougre va faire la connaissance de "la gamine"  qui elle aussi se prépare à une vie d'errance et de souffrance. Un petit rayon de soleil va venir réchauffer le coeur de ces deux tourtereaux d'infortune, à deux on se sent moins seul et naturellement plus fort !  Malheureusement  le mauvais oeil d'une bureaucratie tatillonne, aiguillonnée par des lois inhumaines, va entraver cet espoir de paix que convoitait ardemment ce petit couple qui renaissait à la vie. Il faudra bien des soucis et des larmes avant qu'un timide sourire vienne illuminer le sourire de "la gamine"...

Cette oeuvre merveilleuse datant de 1936 est la dernière réalisée par  Charles Chaplin avant la guerre. Bien entendu il est impossible d'oublier les scènes mythiques décrivant de façon comique et parfois loufoque les tracas d'un modeste ouvrier aux prises avec une société et un système économique qui s'ingénient à le détruire.  En fait, comme toujours, le sujet de ce film est grave et prémonitoire, il annonce en fait les effets dévastateurs d'une Amérique aveugle face à la misère, obnubilée par ses chasses aux sorcières et au communisme en particulier. De plus le problème de la rentabilité, génératrice de stress et d'accidents, est superbement évoqué. Tout est mis en oeuvre pour exploiter l'homme sinon à le remplacer par la machine. La  déshumanisation a commencé sa marche inéluctable. Bien sûr on sourit devant les multiples facettes du personnage que nous interprète magistralement Charles Chaplin, mais parfois on reste  ému par les déboires et les injustices qui jalonnent sa pauvre existence. Paulette Goddard nous touche au plus profond de nous-mêmes dans le rôle de cette gamine sur laquelle s'abattent avec un acharnement certain toutes les affres de cette société qui la dévore comme une proie malade. Comme toujours Charles Chaplin, compositeur de la merveilleuse musique de cette oeuvre, se tire de ces situations dramatiques par des pirouettes ingénieuses dont il a le secret.

 

Une fois encore, il est difficile de ne pas succomber à la "magie" de Charlot. Il est difficile de ne pas se laisser envahir par son humour ravageur et son sens de la dérision. On ne peut que succomber à l'émotion que dégage cette oeuvre aussi réaliste que visionnaire qui nous fait verser des larmes de rire et de tristesse face au constat d'un monde en fusion dans lequel l'homme devient l'esclave de la machine, creusant ainsi un fossé inéluctable entre les riches et les pauvres. A n'en pas douter, ce film est un joyau à ranger dans l'écrin bien rempli des chefs-d'oeuvre de Monsieur Charles Chaplin.