Thierry Hesse, rencontre

Publié le 25 décembre 2009 par Irigoyen
Thierry Hesse, rencontre

Ce mois-ci l’écrivain Thierry Hesse est venu à la librairie strasbourgeoise « Soif de lire ». Jennifer Le Morvan, la responsable de ce charmant endroit, m’a une nouvelle fois demandé d’animer la rencontre, ce que j’ai fait avec enthousiasme puisque j’ai lu avec beaucoup de plaisir deux livres de cet auteur.

Son dernier roman s’appelle Démon.

Il met en scène un journaliste de presse écrite, Pierre Rothko, hospitalisé au Val de Grâce après avoir été blessé en Tchétchénie où il s’est rendu après le suicide de son père. Ce dernier a pris soin, auparavant, de parler à son fils de ses propres parents, ce qu’il n’avait jamais fait auparavant.

Cette guerre qui m' a conduit en Tchétchénie afin qu'à présent cette histoire m'appartienne.

La petite histoire côtoie ici la grande. Et l’on croise, page après page Staline, Hitler, Churchill, Poutine, Eltsine… la liste serait trop longue à énumérer. Les grands-parents de Pierre Rothko sont des citoyens de l’Union Soviétique, communistes par idéal. Ils sont encore jeunes quand Hitler lance ses séides à l’assaut de l’empire rouge. Ont-ils des raisons de s’en inquiéter ? Oui, doublement. Car le couple est aussi coupable aux yeux des tenants de l’ordre noir d’être mal nés.

S’ensuit alors un récit étourdissant dans ce siècle de furie. Pierre Rothko veut comprendre, veut remonter le cours des événements.

J'ignore où est passée une part de mon enfance, ainsi commença-t-il. De mes premières années, il me reste des souvenirs minuscules, comme les confettis d'une photo de famille qu'on aurait plusieurs fois repliée sur elle-même, puis déchirée.

On notera ici l’importance des photos dans les romans de Thierry Hesse – voir plus bas - : photos de presse écrite, photos du célèbre Martin Parr, photos de famille.

J’ai été complètement absorbé par cette histoire comme je l’avais été avec Zone de Mathias Enard. Si les deux livres s’attaquent à une période de l’histoire différente – les Balkans chez ce dernier -, ils excellent dans la description de scènes faites de sang, de feu et de larmes. Un tour de force remarquable en ce qui concerne Thierry Hesse qui n’est jamais allé en Tchétchénie. Jamais allé en Russie non plus. Mais après tout, comme le dit le roman :

Inventer, c'est une bonne méthode pour connaître la vérité.

Cette recherche de vérité est intéressante en tant qu’elle montre un nouveau questionnement sur des aspects de l’histoire du siècle passé. Si, au lendemain de la seconde guerre mondiale, de nombreux intellectuels se sont émus et ont manifesté leur colère par rapport à la soi-disant passivité des juifs par exemple – et ce livre est aussi une interrogation sur la judaïté -, Thierry Hesse semble nous dire que la génération à laquelle il appartient pose autrement le débat :

Cette question de la passivité des Juifs est une question difficile, voire impossible, parce que la poser c'est juger. Juger des hommes de s'être apparemment laissés mourir. Or, à présent qu'ils sont morts, de quel droit pourrions-nous les juger, nous qui n'avons connu de cette terrible histoire que les témoignages rapportés, bien des années plus tard, par des livres et des films, au sein de nos appartement douillets, à la lumière d'une lampe à abat-jour, dans le fauteuil d'un living-room, nos jambes étendues bien tranquilles.

A propos de furie du siècle passé, voici un extrait relatant le massacre de Babi-Yar pour que vous puissiez vous faire une idée de l’écriture très visuelle, très photographique de l’auteur :

Aucune injure, aucun ordre ne purent faire taire ceux qui hurlaient, aucun coup de crosse non plus, du moins pendant un temps très bref. Les enfants qui pleuraient voulaient être pris dans les bras des mères, les mères qui sanglotaient voulaient embrasser leurs enfants, les maris voulaient étreindre leur femme et ceux qui n'avaient ni femme, ni mari, ni enfants, criaient devant leur sort. Mais lorsque des coups de revolver tirés au sein du groupe de tête en eurent tué plusieurs, les cris prirent fin. Un homme âgé qui s'était penché sur sa femme abattue fut aussi abattu. Une enfant de six ans blessée à la jambe et qui tenta de se relever fut achevée d'une balle en plein front. Une jeune femme étendue vit hébétée son sang jaillir par grosses saccades de sa cuisse déchiquetée. Il se fit un silence.

Pas de fioriture, juste une réalité crue. Voilà ce qui nous est proposé ici.

La lecture est prenante. Le style ne cède pourtant jamais à la facilité.

Du coup, cela m’a donné envie de lire le précédent livre de Thierry Hesse :

Le roman met en parallèle deux histoires. L’une évoque Andres Escobar, ancien joueur de l'équipe de football de Colombie qui fut assassiné après avoir mis un but contre son camp lors de la coupe du monde de 1994, aux Etats-Unis.

L’autre parle de Sam et Natty, un jeune couple qui vient d’avoir une fille, Lou. Cette naissance est le point de départ chez Sam d’une quête quant à ses origines.

L'idée a frappé Sam qu'en assistant à la naissance de Lou, au commencement d'une vie nouvelle qui allait prolonger l'aventure de sa vie, il retrouverait peut-être ce fantôme de lui-même, ce qu'il pensait avoir perdu en apprenant dans l'âge d'homme.

Plus loin :

C'est un centre qu'il cherchait. Un centre ou un noyau d'où il pouvait penser que plusieurs événements qui s'étaient déroulés dans sa vie, qui pour lui avaient été substantiels, décisifs, à coups sûr en provenaient. Un centre ou un noyau vers quoi aussi l'ensemble de ses actes, sa raison, ses désirs, gravitaient tels des électrons endiablés.

Comment commence une vie ? Comment était-ce dans les premières années, période qui refuse l’accès à notre mémoire. Y a-t-il un moment où tout un chacun marque un but contre son camp. Voilà les questions posées ici.

Dans cette remontée du temps il y a un conflit entre un père et un fils, ce dernier refusant de cultiver l'aspargus lucculus, comme l’ont fait ses aïeux.

De fait, il en avait coûté au père de voir partir le fils, il en avait coûté au fils d'abandonner le père.

Il y a l’exploration d’un autre chemin, d’une autre trajectoire. Cette déviation est-elle la bonne ? Question légitime posée par Sam qui s’interroge au moment du décès de sa mère. Lui a choisi l’écriture et c’est au moment de se rendre dans un atelier d’écriture non loin de là où ses parents vécurent des moments de bonheur que les questions fusent.

Le bonheur, pensa Sam, ne s'arrange pas des choses et des idées complexes.

Ce lieu est immortalisé sur une photo où le père et la mère de Sam apparaissent dans leur éclatante jeunesse. Mais, outre sa beauté, le cliché reste énigmatique aux yeux du narrateur. Et tout le « voyage » de Samprouve à l’évidence que cette recherche est vaine. D’où l’importance, comme le dit le livre de « produire ses propres clefs ».

Je vous laisse entre les mains de l’auteur :

Durée : 47 mn