Patrick Le Galès

Publié le 06 janvier 2010 par Christophefaurie

Patrick Le Galès, directeur de recherche au CEVIPOF (CNRS et Sciences Po), fait un exposé à l’Université de Beaune des Chambres d’agriculture. L’histoire de France récente se serait faite en trois cycles : l’État jacobin centralisateur, 40 ans de décentralisation, nouvelle centralisation qui verrait l’État procéder à un « assèchement financier » du pays, avec pour devise « que le meilleur gagne ». Plus d’exception française : les pays européens vivraient les mêmes difficultés, et suivraient les mêmes modes. Personne ne sait ce qui va en sortir : « on est tous perdus ».

Far West

  • L’État ancien issu de la Révolution, centralisé, très présent dans les départements, avec ses corps de fonctionnaires appliquant la politique publique, ses élus forts mais sans moyens d’action, sa surreprésentation du rural… a subi une décentralisation de 40 ans, qui émerge en 82/83. Une nouvelle loi traitant de décentralisation apparaît alors tous les 5 ans. Mais l’État n'est pas capable de trancher : départements (ancien), villes et régions (nouveau), cohabitent. Résultat : ça a été à la fois « l’âge d’or des territoires », noyés de personnels et d’argent, et un grand moment de « bricolage », chaque entité locale s’adaptant à sa mode.
  • Années 70 / 80, montée des régionalismes, partout en Europe. Vague d’échecs des réformes publiques. On se demande : « les sociétés sont-elles encore gouvernables ? ». Chaque gouvernement cherche à compenser sa perte de pouvoir, à sa façon : la France arrose les résistants d’argent et s’endette, l’Angleterre décrète le règne du marché, les Belges optent pour le fédéralisme, l’Italie ne fait rien et sombre dans la crise.
  • Aujourd’hui les pays européens se serviraient de laboratoires les uns aux autres. Ce qui plaît chez l’un est adapté par tous. Le gouvernement Fillon appliquerait une recette anglaise, un nouveau type de centralisation. Il s'agirait de réduire massivement la dette nationale, dont la culpabilité serait attribuée aux régions. Or, l’État sait qu'il est face à plus fort que lui. La solution anglaise consiste à ne plus négocier, à ne plus se préoccuper du local (liquidation des ministères et des corps qui géraient le territoire – santé, agriculture, équipement), à tout mettre dans un paquet, dont on réduit les ressources financières (LOLF, RGPP, le ministère des finances étant la machine infernale d’assèchement des ressources du territoire). Privé d'air, il doit se réformer. Pour mieux régner, on le divise, en favorisant des différences de traitement qui provoquent les haines fratricides. On ajoute à cela un pilotage par indicateurs, et un dispositif de contrôle régional. Les agences jouent un rôle déterminant. Dirigées par des hauts fonctionnaires que l’on déplace à volonté, elles ont une mission unique qu’elles poursuivent avec détermination.

Qui émergera de ce chaos ? Ce n’est plus la légitimité démocratique qui donne le pouvoir mais la « capacité politique publique », la capacité de tirer les marrons du feu, d’obtenir des résultats. C’est le Far West ? En tout cas, il devrait en sortir une « mosaïque » de solutions fruits des circonstances locales particulières. Et chaque niveau de l’organisation sociale (local, régional, national, européen) aura sa mosaïque.

Commentaire

En termes de conduite du changement, ceci correspond à :

  1. Une stratégie de passage en force : le gouvernement impose ses réformes contre la volonté de tout ou partie de la nation. En particulier, il ne les explique pas.
  2. D'où « résistance au changement ».
  3. Le gouvernement « l’achète », d’où augmentation de la dette du pays.
  4. Ce n’est pas durable, il trouve plus efficace : « diviser pour régner », utiliser les failles de la société pour la disloquer. Elle ne résiste plus.

Y avait-il un autre moyen de faire ? Comme l’explique ce blog et les sciences humaines, les groupes sociaux ont des mécanismes internes de transformation. La résistance au changement les révèle : quand on la rencontre, il faut interpréter sa logique et agir en fonction. Ainsi on peut transformer l’organisation, sans la démolir et sans se ruiner.

En attendant que le gouvernement découvre cette loi de la nature, que devons-nous faire ? Deux stratégies :

  1. jouer l’oligarque et exploiter le chaos que créent les réformes ;
  2. prendre le contre-pied de l’effet qu’elles tentent de susciter : préserver le lien social de la dislocation.

Compléments :

  • Google et Microsoft III donne des exemples d'application des deux techniques de changement : individualiste (diviser pour régner) et sociale (l'union fait la force).
  • Il n’est pas surprenant que notre gouvernement copie l'Angleterre : ce pays a porté l’art de « diviser pour régner » à sa perfection. C’est ainsi qu’il a fait s’entretuer les populations qu’il avait colonisées. Un exemple récent : le Waziristan, bastion du pouvoir taliban : The last frontier.
  • Les résistances organisationnelles au changement.