Un nouvel avatar pour le politiquement correct, chronique d'une fumisterie

Publié le 06 janvier 2010 par Sammy Fisher Jr
Avez-vous remarqué à quel  point l'opposition entre athées et croyants est parfois étonamment proche de celle entre fumeurs et non-fumeurs ? Bien sûr, la clope n'est pas une religion, mais la cristallisation, la crispation même, des attitudes et des arguments dans chaque camp est tout à fait comparable.
Je viens de réaliser ceci en lisant cet article de Rue89 : "Avatar et Sigourney Weaver reçoivent un poumon noir."
De quoi s'agit-il ? Le site anti-tabac américain SceneSmoking.org décerne une sorte de label, un "poumon" rose, gris, ou noir aux films, en fonction du nombre "d'incidents tabagiques" de la production étudiée. Ainsi, dans Avatar, Sigourney Weaver fume. Un mauvais point. Elle fume même trop. Deux mauvais points. Pis, elle fume dans des lieux publics. Allez hop, poumon noir et bonnet d'âne pour James Cameron, qui commence à trembler pour la rentabilité de son film.

Soyons sérieux : qui pense sincèrement que voir l'ex lieutenant Ripley la clope au bec va déclencher une vague de tabagie parmi les millions de spectateurs ? C'est aussi stupide que d'imaginer que les junkies de Trainspotting ont entrainé dans leur sillage de nouveaux accros à l'héroïne ; aussi idiot que de penser que l'addiction médicamenteuse de Gregory House pourrait donner des idées aux fans de la série ; aussi simpliste et caricatural que le genre d'argument consistant à jeter l'opprobre sur tout film ou jeu vidéo présentant une similarité, aussi ténue soit-elle, avec un fait divers sanglant impliquant des armes à feu, par exemple. (Un peu comme si les ados visionnant Bowling for Columbine étaient pris de l'envie subite d'en faire autant)
C'est là où cette attitude légèrement autistique rejoint celle des athées combattants : qui cherche t-on à convaincre avec ce genre d'initiative ? Les fumeurs ? Certainement pas. Les non-fumeurs ? C'est un peu exagérer notre potentiel d'influençabilité. Côtoyer des fumeurs m'a toujours plus ou moins dérangé, même si je considère avoir fait de gros efforts en la matière - et eux aussi, il faut bien le reconnaître.
Autrefois, la simple présence d'un fumeur dans la même pièce que moi suffisait à me le faire maudire, terrorisé que j'étais à la pensée de succomber aux atteintes du tabagisme passif. J'ai su depuis me montrer un peu plus souple, et les habitudes, comme les lois, ont évoluées dans le sens d'une plus grande séparation des fumeurs et des non-fumeurs.
Alors, quand je lis des bêtises du genre de celle proférée par Stanton A. Glantz, spécialiste de la recherche sur le tabac à l'Université de San Francisco, cité dans l'article, qui ose dire que toutes les scènes faisant apparaître du tabac dans Avatar, "C'est comme si l'on déversait du plutonium dans un réservoir d'eau potable", autant dire que je suis partagé entre la consternation et l'hilarité.

D'autant plus que, comme pour la religion, chacun voit midi à sa porte et la morale est souvent à géométrie variable : "Si on peut montrer des gens qui mentent, trichent, volent et tuent dans un film grand public, pourquoi imposer une moralité sans cohérence lorsqu'il s'agit de fumer ?"
Il serait vraiment regrettable de faire des films "idéalisées", sans tabac, sans alcool, sans armes, et pourquoi pas sans sexe ou sans religion... à l'heure où l'on gomme la clope à Gainsbarre, où l'on retire les volutes de fumée qui entourent Malraux, et où l'on prive Tati de sa pipe, les censeurs du politiquement correct ne peuvent-ils pas nous laisser le cinéma ?
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Illustration : Thank You For Smoking, par Mr Guep ; photo publiée sur Flickr sous une licence Creative Commons