Violence à l'école : pourquoi Nicolas Sarkozy élude-t-il le problème ?

Publié le 12 janvier 2010 par Juan

La violence à l'école génère parfois de sérieux délires verbaux. Pour la première fois en France, un élève a été tué dans l'enceinte de son lycée. Hakim, élève de terminale, âgé de 18 ans, a été tué par un redoublant de classe de seconde, âgé de 18 ans également.  Lundi 11 janvier, Nicolas Sarkozy présentait ses voeux au monde de l'éducation. Aucune annonce nouvelle... Etes vous surpris ?
Un pouvoir discret... et pour cause
Si ce dramatique fait divers était intervenu voici un an, on aurait entendu Nicolas Sarkozy et ses soutiens s'emporter tous azimuts, se saisir de l'évènement pour brandir la menace d'une nouvelle loi, fustiger la déliquance trop jeune. En mai 2009, Nicolas Sarkozy dénonçait encore la violence à l'école. Comme en 2002, en 2004, en 2007, etc. Cette fois-ci, rares ont été ceux, même au gouvernement, qui ont cherché à instrumentaliser le fait divers.  Le pouvoir est mal à l'aise. Les moyens de police sont en baisse, les effectifs de l'Education Nationale également. Que dire ? Que faire ?
Brice Hortefeux s'est ainsi montré étrangement prudent : la prévention au lycée n'est pas qu'une affaire de sécurisation par des portiques, des caméras, ou des  fouilles. L'UMP a joué également les modestes : elle «soutient le Gouvernement dans sa volonté de poursuivre la mise en place de la politique de sécurisation des établissements scolaires par des mesures adaptées à chaque situation.» Où est passé Frédéric Lefebvre qui jadis n'était jamais avare d'idées folles chaque fois que l'actualité lui en donnait l'occasion ? En fait, l'Elysée, le gouvernement, et l'UMP ont trois raisons de rester globalement modestes.
1. Le meurtre d'Hakim ne "cadre" pas avec les discours sécuritaires habituels. Il ne s'agit pas d'une violences de bandes, ni de très jeunes mineurs, ni de "cagoulés", etc... La mort d'Hakim, d'après les dernières constatations de la police, n'est "qu'une" violence ordinaire. Un grand frère qui se fait tuer d'un coup de poignard en défendant sa soeur. Comment légiférer sur un tel cas ? Il faut relire les déclarations de Nicolas Sarkozy en mars 2009. Il y a moins d'un an, il disait déjà  : "l'école doit rester un sanctuaire, préservé, plus qu'aucun autre lieu, des violences de toute nature". Il demandait à son gouvernement une "une réflexion destinée à renforcer par des mesures opérationnelles la sécurisation des établissements scolaires". Et un an après ?
2. Le gouvernement est responsabledu manque d'encadrement adulte en milieu scolaire. Rappelez vous le 30 juin dernier :  le gouvernement était prêt à ne pas reconduire quelques 30 000 postes d'emplois de vie scolaire, arrivés à échéance. Ces postes recouvrent notamment des missions d'aide à l'accueil, à la surveillance et à l'encadrement des élèves des établissements primaires et secondaires.
3. Le gouvernement est aussi responsable de la réduction des effectifs d'enseignants et de personnels administratifs, en application de la fameuse révision générale des politiques publiques. Cela n'a rien arrangé: 16 000 postes seront encore supprimés pour la rentrée 2010. A Pantin, en Seine Saint Denis, les enseignants d'un lycée professionnel protestent contre l'installation prochaine d'une équipe mobile de sécurité. Pourquoi donc ? Parce que le lycée a vu d'autres crédits, tout aussi vitaux pour lutter contre la violence à l'école, se réduire drastiquement: «Nous prenons ça comme une provocation car, dans le même temps, tous les autres crédits sont en baisse, par exemple ceux du fonds social lycéen qui aide les familles en difficulté, ou les crédits pédagogiques  !» a expliqué l'un des professeurs.
4. La lutte contre l'insécurité par le gouvernement Sarkozy marque le pas. Depuis 2002, les violences aux personnes ne cessent d'augmenter. Pire, les forces de police et de gendarmerie vont perdre des effectifs, environ 3 000 collaborateurs nets en 2010. Les UTEQ, ces fameuses unités territoriales de Quartier, ne seront qu"une trentaine, au lieu des 100 prévus l'an dernier, faute de moyens. Depuis, le gouvernement se réfugie derrière l'installation massive de video-surveillances. Remplacer l'encadrement adulte et humain par des caméras... La belle affaire !
Le JDD a publié le témoignage d'un proviseur de lycée d'Ile-de-France réclamant davantage de sécurisation, notamment technique: A Bobigny, le proviseur du lycée Alfred-Costes, s'inquiète: "je réclame, depuis des années, l’installation de grilles automatiques plus hautes et de caméras de surveillance à l’entrée du lycée, je ne les verrai sans doute pas avant mon départ à la retraite." Mais le proviseur s'inquiète surtout du manque de moyens éducatifs.
Sarkozy élude
Lundi, on s'attendait à une franche prise de parole de Nicolas Sarkozy sur les sujets du moment. En présentant ses voeux au monde de l'éducation, Nicolas Sarkozy est lui aussi resté prudent. Il a commencé par rendre un rapide hommage à l'élève tué vendredi, et exprimé son émotion: "S'il y a bien un lieu qui doit être protégé de toute forme de violence, un lieu qu'entre tous il faut sanctuariser, c'est l'école." C'est tout. Pas d'annonce, ni de surenchère. Nicolas Sarkozy s'est-il calmé ? Ou cherche-t-il à déminer une polémique parallèle sur son échec en matière de sécurité ? Le président veut sanctuariser les lycées. Avec quels moyens ?
Sarkozy a préféré parler "diversité", et rebondir sur la fausse polémique de la semaine passée, politiquement plus utile, relative aux quotas de boursiers dans les Grandes Ecoles : "Je ne comprends pas les réticences qui se sont exprimées ces derniers jours sur le sujet"; "Je les trouve même invraisemblables et parfaitement déplacées." Bizarrement, Nicolas Sarkozy a même ajouté de la confusion au débat en expliquant qu'il ne souhaitait aucune dérogation particulière en faveur des candidats boursiers: "La solution n'est évidemment pas l'instauration autoritaire de quotas de boursiers à l'entrée de chaque institution". "Je n'accepterai jamais un système où certains candidats seraient reçus à un concours pour la seule raison qu'ils sont boursiers - au détriment d'autres candidats plus méritants." Sa solution est plutôt l'élargissement des admissions directes ou parallèles... En d'autres termes, des élèves boursiers ... mais sans quotas. Comprenne qui pourra. Pas un mot sur le biais social de certains concours. La question gêne-t-elle ?
Deux ministres dérapent
Dans ce climat de prudence, deux ministres se sont démarquées. Valérie Pécresse, tête de liste UMP aux prochaines élections régionales en Ile-de-France, a été l'une des rares à déraper, en instrumentalisant maladroitement ce fait divers pour tacler... les Verts (sic !). La candidate a proposer à la Région d'octroyer "dès le mois de janvier 2010 les financements correspondant aux 5.000 emplois-tremplins toujours non pourvus à ce jour, pour recruter 5.000 surveillants-tuteurs régionaux, chargés dans chaque lycée de suivre, d'encadrer et de conseiller les lycéens dont les difficultés de comportement sont connues et repérées". La candidate s'est surtout distinguer en accusant nommément les Verts de vouloir favoriser la vente de drogues dans les établissements scolaires... On croit rêver.
Sa collègue à la Ville, Fadela Amara, s'est risquée à reprendre à son compte une douteuse expression de l'ancien ministre de l'intérieur Nicolas Sarkozy : «Rappelez-vous le Kärcher de Nicolas Sarkozy : on a oublié qu'il a dit cela alors qu'un jeune de 11 ans avait été tué en nettoyant la voiture de son père !» «Oui, il faut nettoyer au Kärcher, nettoyer cette violence qui tue nos enfants dans les cités. (...) Il existe une vraie insécurité dans certains quartiers populaires, avec des voyous qui prennent en otages les habitants»; «le droit à la sécurité n'est pas réservé aux bourgeois». Amara s'emporte, pourtant dans une interview écrite, au quotidien régional Le Progrès.
Un président qui s'efface, une majorité troublée, deux ministres mal en point qui dérapent...
Ami sarkozyste, où es-tu ?