La vengeance dans la peau (2007)

Par Eric Culnaert

 

Attention, trilogie ! Voici donc le dernier épisode, riche en comique involontaire (The Bourde ultimatum ?), de la saga sur Jason Bourne. Si tu ne vois pas de quoi je parle, ô lecteur, si tu débarques de ta soucoupe volante et t’apprêtes à téléphoner à la maison, voici pour toi de quoi te mettre au courant.

Donc la CIA, organisme sans lequel le monde ne serait pas aussi attrayant que nous le voyons puisque la liberté n’existerait nulle part, a transformé la personnalité de David Webb, rebaptisé Jason Bourne, pour en faire un tueur. Puis, se ravisant vu que seuls les imbéciles ne changent pas d’avis, elle a tenté de l’éliminer « parce qu’il en sait trop » (pourtant, elle l’avait aussi rendu amnésique !). Le réalisateur Paul Greengrass finit de nous raconter cette histoire à rallonges dans ce troisième opus, vu qu’il y a eu trois films, titrés, dans l’ordre, The Bourne identity (alias La mémoire dans la peau), en 2002, The Bourne supremacy (alias La mort dans la peau), en 2004, et The Bourne ultimatum (alias La vengeance dans la peau), en 2007 – donc cette année pour les distraits. Pour être précis, Paul n’a réalisé que les deux derniers, le premier étant dû à Doug Liman. Et les trois films utilisent Matt Damon, que tu as certainement aussi dans la peau, sinon tu es impardonnable après tant d’insistance de la part des titres français.

Parenthèse : Greengrass est un réalisateur britannique qui avait brillamment réussi Bloody Sunday, sur la guerre d’Irlande, et pas trop raté Vol 93, à propos de cet avion de ligne que ce farceur de Ben Laden avait tenté de lancer sur la Maison-Blanche le 11 septembre 2001 – mais là, Oussama, loupant de peu le quarté gagnant, avait raté son coup. Greengrass y a gagné une cote fabuleuse auprès de la critique, laquelle a donc tressé des couronnes, et pas mortuaires, à La vengeance dans la peau. Comme quoi on a raison de devenir célèbre, cela permet de se contenter du minimum syndical ; par exemple, filmer ce dernier module entièrement en caméra portée, et fabriquer un festival de poursuites, de cascades et de bris de verre, dans un vacarme quasi-permanent, ce qui ne s’était jamais vu à l’écran.

Mais revenons à notre David Webb, dont, pour dissiper d’emblée toute équivoque, je précise qu’il n’a aucun lien de parenté avec Potsie Webb, l’ahuri chanteur de Happy days. En outre, je suis désespéré de devoir vous annoncer que, des trois films, seul le premier était passable : il se déroulait en partie à Paris, et c’était assez réjouissant de relever la fantaisie des itinéraires que suivait Jason Bourne. Par exemple, après avoir dévalé en voiture les escaliers de Montmartre, il se retrouvait dans le seizième arrondissement, sur la voie express Georges-Pompidou ; ou encore, sortant de la morgue, quai de la Rapée, il débouchait dans la rue Saint-Denis. Mais tu sais ce que c’est, le plan de Paris, c’est compliqué, surtout pour des étrangers qui ne sont même pas d’ici.

Bref, Jason sait, depuis la fin du deuxième épisode, qu’il porte le même nom que Potsie (je brode, là), mais il veut en savoir davantage. Alors il passe de Paris à Londres, puis à Madrid, et se retrouve à Tanger, où le spectateur commence vraiment à se marrer s’il connaît le Maroc. D’abord, parce que, ainsi que dans cent pour cent des films de poursuite, il a emmené une fille avec lui (Jason, pas le spectateur). Normal, si vous passez votre vie à fuir des tueurs tout en cherchant à savoir qui vous êtes, vous traînez obligatoirement une fille pour vous tenir compagnie et repasser vos chemises. Ensuite, parce que, à peine arrivé, le couple loue une chambre dans un hôtel et se met à interroger Internet. Un couple non marié qui parvient à prendre une piaule dans un hôtel marocain, c’est hautement crédible. Un peu, si tu veux, comme de publier des caricatures de Mahomet ou des photos du roi à poil dans « Le Matin du Sahara et du Maghreb », journal local pro-gouvernemental.

Après quelques péripéties du genre castagne, et deux ou trois cascades que je ne te conseille pas de reproduire chez toi, comme ils disent à la télé, Jason arrive à New York et parvient à s’introduire dans le bureau du directeur-adjoint de la CIA, justement le chef des méchants qui veulent sa peau. Dans les films, tu as remarqué, le méchant, c’est toujours le chef de ceux qui combattent les méchants. Là, il cuisine le toubib qui a mis au point le procédé de décervelage ayant fait de lui, David Webb, un Jason Bourne. C’est enfin la séquence-révélation, et c’est si important que je change de paragraphe.

Voici donc la grrrrrande chute pour laquelle il a fallu trois films et cinq ans d’attente : Webb n’est devenu un tueur à la solde de la CIA que parce qu’il était volontaire. Comme il dit, il voulait « sauver des vies américaines » (traduisez : tuer des gens avec l’estampille du gouvernement. C’est bien Flaubert qui a dit que le patriotisme était le dernier refuge de la canaille ?). Quelle surprise, le futur tueur avait des prédispositions ! Ça c’est du scénario, coco ! Et le dénouement est à la hauteur, c’est le cas de le dire : sur le point d’être capturé, Jason saute du dixième étage dans le fleuve qui a la bonne idée de passer juste sous les fenêtres du bureau de la CIA. Et là, arrêt sur image, histoire de créer un suspense pas du tout bidon : va-t-il se noyer ou pas ? En attendant la réponse, sur laquelle n’hésiteront que ceux qui n’ont jamais remarqué que la vedette d’un film meurt assez rarement en cours de route, on passe au dénouement politique moralisant : dénoncés par une de leurs collaboratrices qui s’est repentie, les méchants – à savoir le directeur-adjoint de la CIA et le vilain docteur qui, comme par hasard, porte un nom étranger, Albert Hirsch – sont traduits devant une commission d’enquête sénatoriale, qui va certainement nettoyer les écuries d’Augias, comme cela se produit chaque fois que ladite Centrale se fait pincer dans une de ces modestes bavures qui font tout son charme depuis sa création en 1947. Puis on revient à Jason sous la flotte, l’image se défige, et notre héros revient à la surface, enfin libéré de tout souci.

C’est la grâce que je te souhaite également, à moins que tu ne sois un tueur à la solde d’Allocine.