Hiver 2010 : Devant le grand trou noir glacé des idées

Publié le 15 janvier 2010 par Collectifnrv


Il m’arrive parfois de sortir le nez de ma caverne livresque et, me penchant précautionneusement au fenestron donnant sur le monde extérieur, tenant d’une main mon lorgnon et de l’autre fermement agrippé à ma branlante balustrade forgée d’humanités, je me prends à observer l’agitation spectaculaire du dehors.  
Par ces froides journées de janvier, le frénétique mouvement brownien qui agite le spectacle mondain, semble destiné à produire l’énergie calorique susceptible d’atténuer les rigueurs « allègres » du temps. 
Comme si, en ces heures sombres de frimas et de disette conceptuelle, la société du spectacle devait d’autant plus déployer ses ressources pyrotechniques pour égayer le tableau morose offert au chaland.  
Les réserves, cependant,  pourraient venir à manquer car on y a déjà beaucoup puisé, et tous ses pétards sortent mouillés . Les brouillards de saison peinent à combler le déficit d’opacité salvatrice , estompée par l’évanouissement de plus en plus rapide des fumigènes, pourtant diffusés et renouvelés chaque jour par les « weathermen » de bouffon imperator . 
Déjà toute la nomenklaculture s’alarme de ce que ses rats les plus agiles ne se répandent plus qu’avec une sorte de langueur, et comme engourdis par le gel et le tapis de neige qui freine l’efficace de leur raclage de parquet plus encore que la circulation des marchandises de leur divin marché. 
Serait-ce l’ardeur qui leur fait défaut ?  Tellement tempérée qu’éteinte finalement par les rebuffades d’un sort contraire qui accumula les fiasco ruineux,  de la pandémie virtuelle au bide grotesque du grand débat citoyen (de promotion de la haine identitaire ) ?  
Furent-il si profondément affectés de la succession des annonces macabres, des décès prématurés des taxes carbone et des plus merveilleuses innovations de l’histrion majeur (d’aussi brillantes idées que la cooptation des élus européens par eux-mêmes, et sans plus de perte de temps à recourir à d’inutiles et dispendieuses élections) ?  
Un sort contraire peut-il être si obstinément funeste que des Johnnys partent jusqu’à L.A. pour ne pas même y trépasser … entre les mains du Dr House ( chacun voyant bien que le geste désespéré de Philippe Seguin ne pourra pallier ce retard à l’enfumage que de manière fugace et marginale ) ? 
Un sort si funestement injuste donc … qui, de Copenhague aux Auvergnats, partout semblerait voué au seul découragement de leurs magnifiques efforts de créateurs de possibles
Bouffon lui-même , pourtant jamais en mal d’une directive fumigène, n’a pas (jusqu’ici) obtenu le succès escompté dans son dernier « Debout les morts » ( quand aux vivants il importe qu’ils demeurent tous soigneusement vautrés) , l’initiative  saugrenue convoquant les restes de Camus au Panthéon. 
Cet échec de plus, fut-il momentané, présente cependant une gravité particulière s’il atteste que dans la France post-moderne et néo-pétainiste, où pourtant il ne se passe plus rien depuis plus de 40 ans, les commémorations , même les plus capilotractées, ne suffisent plus à mobiliser les foules de dupes frigorifiés. 
Dès l’épisode Guy Moquet chez Fouquet’s, la pensée au guano avait pris la mesure de la médiocre solubilité des figures de l’histoire dans le brouet de sa « politique de civilisation » au karcher . On comprend donc aisément qu’elle ait jugé « malin » de rebondir sur la commémoration du « philosophe pour classes terminales », réputé consensuel et politiquement assez anodin pour n’être pas susceptible d’appropriation par la pressante et permanente menace islamo-ultra-gauchiste .  
Il n’est pas douteux que le grand cortège commémoratif, Gallimard en tête, défilera solennellement et battra le rappel des poncifs et des banalités de circonstance, mais il est beaucoup moins assuré que ce cortège échappera à l’attraction du grand trou noir qui désormais aspire toutes les productions culturelles promues par le marché qui les engendre, puis les engloutit , à vitesse exponentielle, dans le néant du rapport marchand. 
Car là voilà la « cause première » et efficiente de tous les déboires des prêtres et des zélotes convertis à la rupture :  
un grand trou noir des idées … qui s’est développé au centre de la galaxie libérale décomplexée,  au fil de l’accumulation prodigieuse des niaiseries serviles, qu’y a agrégé depuis quelques lustres la convergence consensuelle de la bien-pensance vautrée, 
et qui désormais attire à lui, inexorablement, toute la pensée molle, que produisent si volontiers et dans une si vaine profusion, les norias de manufacteurs de guano multimédiatique. 
Un dernier regard oblique me découvre , aux marges du gouffre aux sornettes, la prolifération des entreprises millénaristes de la médiacratie, avec les efforts désespérés des racleurs de parquet  pour échapper à l’emprise mortelle du « grand attracteur ».  
Je les vois lancer leurs chimériques « possibles », tels d’inutiles grappins dans  le sable inconsistant de leurs illusoires prétentions, tandis que déjà ils sont entraînés dans le néant inéluctable à quoi les destine leur bouffonnerie servile. 
J’aperçois même d’éminentes figures vermoulues de l’anti-totalitarisme, proférer depuis
leur tribune « libre » du « Monde » des sentences d’apocalypse : 
« Il faut savoir aussi commencer par définir les voies qui conduiraient à la Voie. » 
Et des profondeurs abyssales de la pensée guano, d’où sans doute leur est parvenue cette « lumière » glauque, leur arrive en même temps, telle une antienne sépulcrale, la prière pathétique des malheureux, au bord de l’insatiable trou noir gorgé de sottise galactique, et qui déjà les aspire avec voracité.  
Cette prière se résume à un mot, comme une ultime imprécation , à prononcer d’un voix impérieuse, en agitant les mains devant soi , bras tendus , vers le petit chef secoué de tics : Métamorphose … 
Métamorphose … tel est donc le dernier espoir des arpenteurs du guanodrome, et d’abord de la première d’entre eux, la courtisane, jadis sémillante,  venue des lointains transalpins avec ses millions et son botox.  
Métamorphose … proférait-elle silencieusement ( et sans accent) en étreignant le bouffon agité des épaules, avec la ferveur des princesses de fables épousant des crapauds ou des gnomes dont elles attendent que le premier baiser en fasse des  princes charmants. 
Hélas, avant que de refermer prestement mon fenestron par où déjà se glissaient des vencoulis glacés, j’ai pu clairement apercevoir que les nains des jardins de l’Élysée n’avaient pas muté en apollons du belvédère .

Urbain