Plaisirs balnéaires à Paris en 1911

Par Paristoujoursparis

Un certain jour, un Maire de Paris, futur Président de la République, promit de se baigner dans la Seine, celle-ci devant être épurée… Hélas ! il ne tint pas sa promesse et les médias, comme le public, lui rappelèrent longtemps sa petite phrase.

Mon épouse, qui ne vivait pas en 1911, se rappelle parfaitement et avec nostalgie de ses baignades dans la Seine, en banlieue parisienne. Qui songerait maintenant à tremper dans le fleuve, ne serait-ce que le pied ?

Merci à Daniel pour avoir déniché la petite perle qui suit, extrait du Petit propriétaire du 20 juillet 1911.

OU SE BAIGNER A PARIS ?
Le Préfet répond : A l'abreuvoir de Puteaux après souper !

A propos d'une affiche de la Préfecture de Police

REPUBLIQUE FRANÇAISE
Liberté Egalité Fraternité
Préfecture de Police.
Avis concernant les baignades en rivière.

Les seuls points sur lesquels, en dehors des établissements de bains, les baignades de rivière peuvent avoir lieu dans le ressort de la Préfecture de police pendant l'année 1911, en exécution de l'article 145 de l'ordonnance de police du 30 Août 1895, sont les suivants :

En Seine, rive gauche :

A Vitry-sur-Seine, à partir de la rue Constantin sur une étendue de 50 mètres en aval et une largeur de 15 mètres. A Puteaux, à l'Abreuvoir, après 9 heures du soir. En Marne, rive droite : A Saint-Maurice, sur une étendue de 25 mètres, entre les îles de Charentonneau et d'Enfer. A Saint-Maur, à 50 mètres en amont du pont de Créteil, sur une étendue de 25 mètres, Rive Gauche.
A Joinville-le-Pont, à 200 mètres environ en aval du Pont, au lieu dit le Banc de Sable.
A Créteil, dans le bras du Chapitre, en aval du Pont de la rue du Moulin-Berson, sur une étendue de 25 mètres.
L'article 138-140 de la même ordonnance, interdit expressément de se baigner dans les canaux de la Ville de Paris (Canal Saint–Martin, canal Saint-Denis et de l'Ourcq). Les baignades « en pleine eau » interdites dans Paris, peuvent avoir lieu hors Paris, sous la conduite de mariniers permissionnés à cet effet. Exception est faite pour les riverains qui ont la faculté de se baigner au droit de leur habitation, sans aucune autorisation. Il est rappelé qu'il est défendu de se baigner nu et de se tenir hors de l'eau sans être couvert d'un peignoir.

Paris, le 29 mai 1911,
Le Préfet de Police,
Lépine

Comme on peut le voir par la circulaire ci-dessus, les endroits où les baignades peuvent s'effectuer sans dommage pour la pudeur publique et municipale sont strictement limités, malgré la campagne et les discours de nos députés. Il est vrai qu'il convient d'y ajouter les quelques endroits où il est permis de se baigner jusqu'aux genoux et comme on peut le voir sur notre cliché, les enfants et les jeunes gens profitent volontiers de cette tolérance.

Inutile d'essayer de faire trempette ici en 2010 ! Le port de la Concorde y a été amménagé pour des péniches de luxe.

Il suffit d'aller se promener sur les berges pour se rendre compte de la joie qu'éprouvent ces gamins à barboter dans l'eau. Plaisirs balnéaires, que nous souhaitons à nos lecteurs de goûter bientôt. C'est un lieu commun de dire que parmi les grandes villes, Paris est une de celles où on se lave le moins. Les établissements privés sont trop coûteux pour une grande partie de la population, quant aux piscines municipales, elles sont en nombre infime, et généralement assez mal installées. La Seine n'est pas toujours très propre, d'autre part, sa température n'est favorable à la natation que pendant trois mois de l'année au plus.

Toutefois il me semble que de ce côté, il y aurait fort à faire, et que en quelques 'endroits bien choisis, fussent même assez loin du centre, du côté d’Auteuil ou de Bercy, il serait facile d'aménager des écoles de natation municipales ou bains publics gratuits, présentant toutes les garanties d'hygiène et de sécurité. La natation est à coup sûr un des meilleurs exercices physiques qu'il soit possible de trouver, surtout pour l'enfant, parce qu'il met en œuvre tous les membres et par conséquent, donne lieu à un développement musculaire très régulier. Ainsi que l'a fait remarquer le docteur Dieupart, l'enseignement de la natation dans les écoles communales se fait d'une manière ridicule. On place les enfants sur des bancs, à plat ventre, et on leur fait exécuter en mesure des mouvements de bras et de jambes, qui ne servent à rien du tout, sinon à imiter les efforts impuissants de la tortue pour se retourner lorsqu'on l'a mise sur le dos. Plusieurs fois déjà, les instituteurs, les directeurs d'écoles, ont protesté contre cet usage, et à coup sûr, ils n'avaient pas tort de penser qu'un tel exercice était une simple perte de temps.

La vérité qui peut paraître élémentaire bien qu'elle soit méconnue par nos pédagogues officiels est celle-ci : pour apprendre à nager, il faut de l'eau. L’enfant le plus assoupli, dit encore le docteur Dieupart, décomposant le mieux, les mouvements de la natation; le plus docile sur son banc de manœuvre, oubliera, une fois dans l'eau, cette science péniblement acquise. Il semble au contraire. qu'avec une surveillance médicale sérieuse, les enfants des écoles seraient à même d'apprendre à nager rapidement pendant la belle saison et ainsi, prendraient goût à cet exercice, dont le moindre avantage est d'habituer ceux qui le pratiquent à la propreté corporelle.

Il suffit de pénétrer dans un wagon du Métropolitain vers 7 heures du soir, pour se convaincre que c'est là une nécessité urgente pour une bonne partie de la population parisienne. Il ne faudrait pas qu'au nom de l'éternelle et stupide rengaine de la liberté, de l'initiative privée, on imposât plus longtemps le régime de la crasse laïque et obligatoire ! Comme dit la chanson, ce n'était pas la peine assurément…

Pour parler sérieusement, il y a là un scandale qui doit cesser. Un jour prochain, peut-on l'espérer, les fortifications seront rasées, les vastes étendues de terrain ainsi récupérées ne seront pas entièrement livrées aux vandales et aux spéculateurs, grâce aux efforts de l'Association française des cités-jardins de la Ligue des espaces libres, des Amis de Paris, et de toutes les autres sociétés qui viennent si récemment de grouper leurs efforts, il y lieu de penser que les arbres et le maigre gazon qui constituent actuellement la campagne du pauvre, ne feront pas place à une maison modern-style à 8 étages, à des statues de Tartempion ou autres illustres inconnus.

Sans doute il serait bon d’installer sur cette zone de fortifications, près des quartiers les plus peuplés à l’extrémité des larges boulevards conduisant aux portes de Paris, des piscines à eau chaude ou froide, suivant la saison, et destinées spécialement aux écoles des arrondissements voisins. Resterait à étudier leurs emplacements, leurs dimensions, leurs frais et leur utilité, cela nous entraînerait un peu loin. Pour terminer, il faut bien avouer aussi que le mouvement en faveur des habitations salubres et à bon marché trouverait dans de semblables installations une aide puissante, car du jour où l’ouvrier aura plus de soin de sa propreté personnelle, il aura également souci de plus de bien-être et d’hygiène dans son intérieur, et c’en sera fini de cette insouciance de ce laisser-aller qu’exploitent comme à plaisir des propriétaires aussi dépourvus d’aménité que d’intelligence.

Roger de Flainville