Anthologie permanente : Jangbu (Chenaktsang Dorje Tsering)

Par Florence Trocmé

JOURNAL DE CUISINE EN QUATRE PARTIES

Eau
Quand le souvenir
Tombe du robinet
Avec des « plocs ! »
Tombe en longueur
Tombe en pureté
Tombe avec goût et odeurs
Les mains de l’eau agrippent la tienne
Les mains de l’eau caressent les accessoires de la toilette
T’aident à oublier le lointain
  
Four
Le feu flambe dans un bruit sec
Le feu disparaît dans un bruit sec
Les distraits ne le voient pas
Mais le feu   Est présent depuis toujours
Comme l’amour qui n’arrête ni la naissance, ni la mort
  
Panier à légumes
Toi le chou blanc
Grosse fille vêtue d’une jupe verte
Lève-toi, le couteau de l’amour t’attend.
  
Pomme de terre, poisson à écailles,
Te voilà prise dans le sol noir, comme le poisson dans l’étang,
Les creux et reliefs de son corps
Sont-ils une armure contre la nostalgie ou les blessures de la séparation ?
  
Tofu fragile
Tu es une moelle que le feu ne fait pas fondre
Un nuage que l’eau ne traverse pas
Quand j’y repense
Nous nous ressemblons assez, tous les deux.
  
Un navet bien droit
Des cacahuètes jumelles qui se réjouissent de dormir dans le noir
Bougez donc un peu, voisins
J’ai envie moi aussi d’entrer dans ce salon à ciel ouvert
  
Mais   Nous mourrons tôt ou tard
Un grand couteau de boucher est brandi dans mon dos
  
Découpe des légumes
J’aime le couteau affûté
Mais j’ai peur du massacre
  
J’aime les lits confortables
Aussi ralentis un peu pendant la découpe
  
Je suis habitué aux retrouvailles et à la séparation
Aussi meule-moi bien finement.
  
Pékin, le 24 avril
  
• • •
  
La nuit
La nuit est tombée à l’heure   Cette carriole noire
N’est encore jamais arrivée en avance, ni partie en retard
A n’en pas douter elle contientQuelques armes aiguiséesQuelques obstinés
Des bouches encore sanguinolentes Moi, je n’y ai vu que du noir
Si autrui me regarde   Je suis moi-même une tache noire
Qui dégouline à son rythme, dans les ténèbres
Le long d’un rideau rougeUne petite, petite tache noire.
  
• • •
  
Union
Le couteau scintillantS’est infiltré
Entre les côtes
Là où la chair est fine
Sous les aisselles
Il est logé à la frontière de mon cœur et d’un poil
  
La clé silencieuse a tourné et retourné
Elle a fourragé dans le ventre du cadenas
Mangé par la rouille
Nu
De longues années durant
  
Ton corps
Chante   Dans l’obscuritéPlus rapide encore qu’un destrier lancé dans sa courseAu centre des dures empreintes de sabotIl brosse les feuilles   Le plaisir   Mes épaules
  
Le 13 juin 2009
  
Jangbu (Chenaktsang Dorje Tsering), trois poèmes traduits du tibétain par Françoise Robin, revue Neige d’août n°18 (automne 2009)
Contribution d’Ariane Dreyfus
bio-bibliographie de Jangbu
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