Du crime parfait au cinéma parfait

Publié le 21 janvier 2010 par Marc Lenot

Le 21 mai 1924, deux jeunes homosexuels de la bonne bourgeoisie juive de Chicago, Richard Loeb et Nathan Leopold, tuèrent sans raison un jeune garçon, afin de se prouver à eux-mêmes qu’ils étaient supérieurement intelligents et capables de réaliser un crime parfait sans être pris. Ils furent aisément identifiés et leur procès fut l’objet de beaucoup d’attention, renforcée par leur origine ethnique et la révélation de leur homosexualité.

En 1948, Alfred Hitchcock réalisa Rope, un film en huis clos sur ce sujet, lourd de sous-entendus homosexuels et oppressant, et ce d’autant plus qu’il semble avoir été tourné en un seul plan séquence. Il y a en fait dix raccords, soigneusement cachés au sein du film et que le spectateur ordinaire ne décèle pas. Mais, de même que les meurtriers suprêmement intelligents furent aisément dévoilés par les indices qu’ils laissèrent ici et là, le cinéaste plus malin que son public a lui aussi laissé quelques indices, et l’attrait du film pour le cinéphile est d’identifier ces raccords, par exemple quand la caméra passe sur le dos d’un personnage. Ce que Hitchcock démontra là, c’est que la technique du montage contribue à la narration en restant transparente, indécelable pour le spectateur ordinaire.

En 2008, la vidéaste franco-suisse Marion Tampon-Lajariette s’empare du film d’Alfred Hitchcock (en fait d’un de ses plans) et en extrait ce qu’elle considère en être la substance même : plus d’histoire, plus de personnages, plus de décors, mais seulement les mouvements de la caméra. Comme si un pantographe cinématographique reliait le film de Hitchcock à la vidéo de Tampon-Lajariette, en faisant une copie conforme pour les prises de vue, mais devant un objet autre, en l’occurrence l’image de synthèse d’un océan agité, paysage sans limite et sans substance, surface mouvante où le regard n’agrippe rien, anti-huis-clos d’un autre ordre. Cette artiste poursuit une démarche très conceptuelle sur l’essence même du cinéma et de la création des images, allant vers une perfection éthérée, aussi parfaite que le crime d’où partit toute l’histoire. Camera 1, plan 8 est visible dans un des modules du Palais de Tokyo jusqu’au 31 janvier.

L’autre module présente aux mêmes dates une vidéo d’animation animalière de Bertrand Dezoteux, Le Corso, avec une cavalcade effrénée et incompréhensible d’animaux tenant de la chèvre et du bouquetin; mais il y a vers la fin, quelques moments d’ironie poétique avec un défilé burlesque qui fait sourire. Pas vraiment dans la même ligue…