La crise du crédit n'affecte pas le prêt entre particuliers

Publié le 09 novembre 2007 par Jean-Christophe Capelli

Chris Larsen, le fondateur de Prosper, me le confirmait lors de Finovate07 : la crise actuelle du crédit interbancaire n'a pas eu d'impact négatif sur le crédit direct entre particuliers. Bien au contraire, son business ne s'est jamais aussi bien porté, pour le plus grand bien de ses clients américains qu'ils soient prêteurs ou emprunteurs.

Comment expliquer le fort développement du prêt direct entre particuliers et sa résistance aux chocs actuels ?

1. Investir devient un acte social

Le particulier qui dispose d'économies ne souhaite plus seulement "faire travailler son argent". Comme tout consommateur, il veut quelque chose de différent, d'innovant. Il est socialement responsable. Il veut investir autrement.

Investir autrement peut prendre plusieurs formes : placer son argent dans des fonds éthiques (pas d'argent pour les fabricants d'armement ou les cigarettiers), privilégier les banques/les valeurs boursières ayant une approche de développement durable ou encore... prêter directement à d'autres particuliers pour les aider à réaliser leurs projets et à améliorer leur existence. Ces emprunteurs peuvent habiter le même pays que les prêts (Prosper) ou bien un pays lointain, en voie de développement (Kiva).

2. Le consommateur est à la recherche de banques low-cost

Le client recherche une meilleure maîtrise de sa consommation via une clarification du contrat avec ses fournisseurs. Cette relation économique "low cost" (compagnies aériennes, grande distribution) répond à la montée en puissance des mouvements consuméristes. Cette tendance est soutenue par une inversion de la relation client-fournisseur (Vendor Relationship Management) et un désintérêt progressif pour la publicité traditionnelle (pinko marketing).

Le "low cost" gagne aujourd'hui l'activité bancaire (analyse du Crédit Agricole : 1ère partie - 2ème partie), une industrie qui se caractérise par des systèmes de prix complexes et peu lisibles. On y facture ce qui a peu de valeur (un virement électronique) tout en offrant gratuitement ce qui en a beaucoup (une rencontre avec un conseiller clientèle). On y perpétue des logiques d'additions de prestations (les "bundles", "packages" et autres forfaits) aujourd'hui remises en question par les clients. Pourquoi payer un forfait comprenant de multiples services dont on ne perçoit pas l'utilité ? Certains consommateurs veulent seulement un compte et une carte !

Les plateformes de prêt de particulier à particulier sont "low cost" par construction. Elles permettent d'emprunter moins cher et de placer en obtenant un meilleur rendement. Etant 100% internet, elles bénéficient de coût d'infrastructure réduits (pas d'agences, des frais de personnel réduits) et d'une tarification simplifiée (commission de 1% à 2% pour les emprunteurs, commission de 0,5% à 1% pour les prêteurs).

3. Le consommateur devient acteur de sa consommation

Le consommateur est prêt à donner de son temps pour consommer mieux et autrement. Les services communautaires web 2.0 ont popularisé cette nouvelle attitude : une partie importante du contenu visible sur Internet (blogs, vidéos,...) est produit par les utilisateurs eux-mêmes (User Generated Content).

On retrouve cette nouvelle forme de "consomm-action" dans le modèle du crédit de particulier à particulier, où la désintermédiation partielle de l'activité bancaire passe par le client lui-même. Sur un site comme Prosper, le client intervient activement dans la chaîne de production. C'est le cas de l'emprunteur : il se met en scène en expliquant pourquoi il a besoin d'argent, en quoi la somme empruntée améliorera son quotidien et celui de sa famille. Il explique également comment il s'engage à rembourser sa dette. A l'aide de ces informations, le prêteur évalue la qualité du dossier de l'emprunteur (quel est le "risque crédit" ? Serai-je remboursé en temps et en heure ? Le taux d'intérêt est-il suffisant pour rémunérer le risque pris ?) mais également l'utilité sociale du prêt (est-ce que je crois au projet présenté par l'emprunteur ? Est-ce que mon prêt va permettre à cette famille de sortir enfin de ses difficultés financières ? ).

4. Le modèle du prêt de particulier à particulier reste solide en période de crise de liquidité

La période récente a été marquée par une importante crise de liquidité. Pendant cette période difficile, qu'a-t-on constaté concernant le crédit de particulier à particulier ?

- que les emprunteurs continuent à rembourser consciencieusement leurs prêts. Le taux de défaut reste stable (c'est à dire qu'il n'y a pas d'augmentation du nombre de crédits dont les échéances ne sont pas remboursées). Ce taux demeure inférieur à celui constaté dans l'industrie bancaire traditionnelle. Cela s'explique par la qualité des dossiers financés, qui sont majoritairement "prime" et "near prime" (c'est le cas de Prosper). Une partie importante de la population, bien que solvable, n'a pas accès au crédit traditionnel : jeunes actifs, travailleurs indépendants ayant des revenus irréguliers, petits commerçants, familles ayant connu des accidents de la vie (maladie, divorce, chômage,...). C'est cette clientèle qui vient emprunter de particulier à particulier, leurs dossiers ayant été refusés par les banques.

- que les prêteurs ne demandent pas une augmentation des taux d'intérêts en période de crise de liquidité. Le rôle social de leur prêt compte avant tout. Et contrairement aux banques, ils ne subissent pas des taux de refinancement rendus plus élevés par la crise de liquidité des marchés financiers.

5. Conclusion

La crise récente du crédit interbancaire a eu le mérite de montrer tout l'intérêt du prêt de particulier à particulier. Comme le soulignait un récent article de The Economist (repris par l'infatiguable Colin Henderson), cette nouvelle façon d'emprunter s'installe durablement comme une alternative au prêt bancaire classique. On recense aujourd'hui plus de 30 sites exerçant cette activité à travers le monde (le phénomène touche toutes les régions : parmi les derniers lancements, on relève Igrin en Australie et Nexx en Nouvelle-Zélande). La situation française reste, comme souvent, une exception. Mais cela, vous le saviez déjà !