Les joyeuses commères de Windsor - Shakespeare - Comédie française

Publié le 25 janvier 2010 par Marc Villemain

Tout est toujours peu ou prou question de parti pris. D'où, sans doute, la tiédeur de la critique à l'égard de cette mise en scène délibérément caricaturale et résolument foutraque d'une pièce qui, dit-on, fut commandée à Shakespeare par une reine Elisabeth désireuse de voir enfin Falstaff amoureux. Ce qui d'ailleurs ne se produira guère, celui-ci, quoique ripailleur homérique et cavaleur émérite, étant au moins aussi sensible aux rondeurs d'une bourse qu'à celles d'une femme... Bref, les ingrédients les plus classiques, voire les plus éculés de la comédie sont ici réunis : maris cocus, femmes bourgeoises et légères, gredins au grand cœur et bandits aguerris, bel éphèbe et blonde jouvencelle, médecin fou, galant transi, ivrognes épiques et hurluberlus en tous genres. Mais on est plus proches ici des Monty Python que de Marivaux, et c'est à une gigantesque débauche de taverne graveleuse que nous convie Andrés Lima, soutenu par une troupe du Français qui se serait ressourcée auprès des gentils hippies du grand orchestre du Splendid. C'est qu'il est surtout question de franche rigolade, et tout le monde s'en paye une bonne tranche tartinée aux relents médiévaux - on se dit que les répétitions n'ont pas dû être tristes. Autant dire que les comédiens sont remarquables, et il n'est d'ailleurs pas complètement incongru de penser qu'ils sauvent une pièce par moment un peu confuse. Si les plus jeunes des comédiens du Français ont un peu de mal à tirer leur épingle du jeu, il faut dire à leur décharge que la présence de quelques monstres sacrés accentue encore le contraste. Impossible ici de ne pas admirer le jeu de Catherine Hiegel, sémillante, drôle, fine (et mise d'office à la retraite dans les scandaleuses conditions que l'on sait), du très impressionnant Christian Hecq, qui dans le rôle du cocu Monsieur Duflot n'a vraiment rien à envier à de Funès ou à Galabru, sans parler de Bruno Raffaelli, Falstaff rabelaisien que la paillardise ne rend pas moins touchant, de Pierre-Louis Calixte, pour lequel j'ai une vraie tendresse depuis qu'il a joué Lagarce (voir ici), même si on lui pardonnera une fois de plus une propension grimacière peut-être justifiée par l'esprit de la pièce, d'Alexandre Pavloff, irrésistible dans le personnage de ce pauvre et pathétique Maigreux, ou de Christian Blanc, qui dans le rôle de Filou emporte l'adhésion avant même que le rideau ne se lève. Quant à Catherine Sauval et Cécile Brune, elles sont parfaites dans leurs rôles d'épouses espiègles et délurées. De près ou de loin, on est tout proche du théâtre de boulevard. Mais joué par les plus grands comédiens français.

Au service, donc, d'une pièce dont il ne faut rien attendre d'autre qu'une hilarante distraction. L'assertion pourra paraître un peu rude, mais il n'est pas douteux que Shakespeare a travaillé vite, et qu'il n'a de toute évidence pas cherché à faire dans la finesse. Aussi comprend-on aisément le choix d'Andrés Lima, qui consiste à exagérer chaque trait et chaque tirade, et à assumer la caricature jusqu'à gonfler démesurément les protubérances génitales de ces messieurs et à adjoindre au texte des citations de Jacques Brel, des Rolling Stones ou de... Madonna. Ce n'est pas toujours très heureux, parfois un peu lourd, mais ça ne coûte pas cher et ça fait sourire.

Reste qu'on se dit qu'il en allait sûrement ainsi du temps même de Shakespeare. Et que la critique attiédie par la trivialité canaille de cette mise en scène pourrait bien pécher par excès de pudibonderie. Car le théâtre c'est aussi cela, cette mise en relief de nos instincts et de cette part ivrogne en nous - pour ne rien dire de l'esprit qui présidait aux représentations du temps de Shakespeare ou de Molière. S'il est un défaut à cette mise en scène, toutefois, c'est sans doute son uniformité. Qu'il s'agisse de nous faire rire est une chose, de nous faire rire continûment en est une autre. Aussi l'épilogue de la pièce aurait-il pu faire l'objet d'un traitement un peu moins hilare, la solitude de Falstaff, cette manière de confession dont on devine combien Bruno Raffaeli l'attend et pourrait y exceller, l'ambiguïté de cette morale où le vilain en prend pour son grade sous la seule pression d'une populace vengeresse, tout cela aurait pu donner naissance à un beau moment tragique, et subsidiairement aurait coupé court à un rire qui, s'il fut franc et massif, souffre tout de même d'avoir été un peu unilatéral. Enfin ne soyons pas bégueules : il suffit pour cela de savoir rire de tout... et de nous.

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