Affaire Henri Proglio : Problème de capitalisme d'Etat

Publié le 27 janvier 2010 par Copeau @Contrepoints

Le cumul par Henri Proglio d'un poste chez Véolia en plus de la présidence d'EDF a suscité l'ire de ceux qui s'attaquent aux "patrons voyous". Pourtant, avant d'être un problème de rémunération des dirigeants, c'est l'illustration de la nocivité des liens entre capitalisme et Etat. Le cumul, même temporaire, par Henri Proglio de la présidence d'EDF et de la présidence non exécutive de Veolia continue à faire des vagues. S'il y a beaucoup à critiquer dans cette affaire, les raisons invoquées en France ne sont pas les bonnes.

Prenons l'exemple de François Bayrou, dans un entretien avec le journal Le Monde [1] : « M. Proglio a un salaire très important, augmenté de près de 50 % par rapport à son prédécesseur à la tête d'EDF, mais qu'en plus il aura le salaire et les avantages qui vont avec à la tête du conseil d'administration d'une entreprise privée. Cela est une atteinte à la décence par rapport aux Français et une atteinte aux principes du service public, qui doit défendre l'intérêt général et pas les intérêts particuliers. » Qu'Henri Proglio ait renoncé à son salaire en tant que président non exécutif de Veolia ne change pas grand chose au discours de François Bayrou puisque c'est l'envie qui motive de telles paroles, une envie que rien ne peut vraiment éteindre. Ce que confirme en creux François Bayrou : à la question « ce qui vous choque, c'est le mélange des genres ? », le président du Modem de répondre : « D'abord, je trouve le montant de la rémunération excessive ». La rémunération du dirigeant est le problème majeur que voient des hommes politiques français obnubilés par la recherche de l'égalité de fait.

Pourtant, cela n'est pas le vrai problème. La véritable question centrale de l'affaire Proglio, c'est celle du capitalisme d'Etat, des liens entre milieux d'affaire et dirigeants politiques ou hauts fonctionnaires. Veolia est une entreprise dont l'Etat, par les collectivités locales, est le premier client, avec 72% en 2008. Toutes ses activités, que ce soit l'eau, la propreté, l'énergie ou le transport sont très fortement dépendantes de décisions publiques. Parmi les actionnaires principaux, la caisse des dépôts et consignations (10%) ou EDF (6%). Dalkia, filiale énergie de Veolia est détenue à 66% par Veolia et 34% par EDF. Autant dire que les risques de conflits d'intérêt sont très présents avec EDF, détenu à 84.9% par l'Etat... Pourtant, le fait du prince, à savoir le soutien de Nicolas Sarkozy à un chef d'entreprise dont il est proche, permet de passer outre ces objections de bon sens, qui seraient un obstacle dans un système capitaliste libéral. Mais dans le capitalisme d'Etat français, les règles de bonne gestion passent derrière les impératifs politiques, au détriment du pouvoir d'achat des consommateurs.

Revenons sur le montant du salaire d'Henri Proglio. Au vu des études académiques, cette question n'est pas un problème ici. Comme le montra une étude fameuse de Xavier Gabaix et Augustin Landier, si la rémunération des grands patrons augmente, c'est que la taille des grandes entreprises explose elle aussi [2]. Les deux courbes sont quasiment identiques. En outre, les postes à très haute responsabilité au sein des grandes entreprises mondialisées sont aussi ceux qui sont le plus exposés. Avec l'implication croissante des actionnaires dans le suivi de l'action des dirigeants, le risque d'être licencié rapidement est désormais beaucoup plus élevé. Selon les économistes Steven Kaplan et Bernadette Minton, un chef d'entreprise restait en poste en moyenne huit ans entre 1992 et 1997. Entre 1998 et 2005, cette durée était tombée à six ans [3]. A risque plus élevé, salaire plus élevé également. Preuve aussi d'un fonctionnement pas si mauvais que cela, les rémunérations des PDG du CAC 40 ont baissé en 2007 et 2008, années de crise : -17% pour la première et -20% pour la seconde [4].

Où l'on voit une nouvelle fois les problèmes du capitalisme d'Etat à la française : là où, en France, un patron inefficace serait débarqué d'une entreprise privée bien gérée, sa longévité dans une entreprise publique dépend en bonne part de ses relations politiques. Ce qui ne l'empêchera pas de toucher un salaire confortable... La nomination de François Pérol à la tête de la BPCE n'est par exemple pas si lointaine, de même que celle de Pierre Mariani chez Dexia ou bien d'autres encore, attisant les accusations de népotisme ou de copinage. Comme le notait Lord Acton et le rappelle aujourd'hui brillament le philosophe Gaspard Koenig [5], le pouvoir corrompt et le pouvoir absolu corrompt absolument. Dans le public comme dans le privé. Mais là où un système capitaliste libéral connait le contrepoids des actionnaires, rien ne peut empêcher le fait du prince dans un système de capitalisme d'Etat. Pour réduire ces dérives, c'est moins d'Etat qu'il faut et plus d'économie de marché libre. Appeler à toujours plus de contrôle étatique comme le fait François Bayrou ne fera qu'empirer le mal.


[1] « L'affaire Proglio est une offense aux principes de la République », François Bayrou, Le Monde, 22 janvier 2010

[2] Xavier Gabaix et Augustin Landier, “Why Has CEO Pay Increased So Much ?”, Quaterly Journal of Economics, 2008, vol. 123(1), p. 49-100

[3] Steven Kaplan et Bernadette Minton, “How has CEO Turnover Changed ? Increasingly Performance Sensitive Boards and Increasingly Uneasy CEOs”, juillet 2006

[4] « Les patrons du Cac ont été payés 20% de moins en 2008 », lefigaro.fr, 9 décembre 2009

[5] Les discrètes vertus de la corruption Grasset, 2009