Mesure et conversion de l'effet ROPO-ROBO, entretien avec les fondateurs de Converteo

Publié le 28 janvier 2010 par Nicolasp

Regard d'experts #2: Thomas Faivre-Duboz & Raphaël Fétique

J'ai eu l'occasion d'échanger à plusieurs reprises avec Thomas et Raphël sur le phénomène Research-Online-Purchase-Offline, et j'ai voulu les inviter sur ce blog car ces experts de l'analyse de la donnée Web accompagnent souvent des réflexions, projet autour du ROPO-ROBO
Thomas, Raphaël, qui êtes vous ?
Nous sommes les fondateurs de Converteo, un cabinet de conseil e-business et les co-rédacteurs de « Web conversion – Stratégies pour convertir vos visiteurs en clients » paru aux éditions Dunod.
Votre quotidien professionnel en quelques mots ?
En tant que consultants, nous travaillons au quotidien avec des e-commerçants, des enseignes de la grande distribution, des groupes de presse, des associations… sur l’amélioration de l’efficacité de leur dispositif web. Nous étudions via les outils de web analyse le comportement des clients sur leurs sites. A partir de là, nous remettons à plat les objectifs fixés aux sites (génération de leads, ventes, génération de visites en points physiques, dons en ligne…) et nous identifions les leviers liés au marketing, à l’architecture de l’information, au web design (ergonomie + graphisme), à la politique commerciale et à la présentation de l’offre, qui nous permettront de faire progresser l’efficacité du site sur les objectifs qu’on lui a assignés. Ensuite nous menons des vagues de tests et nous en analysons les résultats. Au-delà de l’optimisation de dispositifs Internet existant, nous accompagnons aussi nos clients dans la conception et la refonte de sites, toujours en se centrant sur l’analyse du comportement des clients. Enfin, nous sommes de plus en plus sollicités sur des missions organisationnelles e-business.
Vous arrive-t-il de faire une recherche sur Internet et d'acheter en magasin ? Sur quel type de produit ?
Oui. Il nous arrive régulièrement d’utiliser Internet pour comparer et choisir des produits technologiques (appareil photo, téléphone, matériel informatique), des produits de maison/décoration ou même des instruments de musique pour ensuite les acheter en magasin physique.


Pourquoi ce type de produit ? Que recherchez vous en magasin ?
Sur les produits techniques, ou même les instruments de musique, on trouve énormément d’informations sur Internet. Les sites spécialisés, les fiches constructeurs et les blogs d’amateurs éclairés constituent souvent de bons guides d’achat. L’achat se conclut ensuite souvent en magasin car il y a un besoin d’aide à l’achat sur des produits où nous ne sommes pas experts. Il peut y avoir aussi un besoin de voir et de toucher les produits, de les imaginer en situation réelle : si l’on souhaite se composer une chaine hifi ou home cinema avec des éléments séparés, et vérifier que les coloris des différents éléments sont coordonnés, il est bien évidemment plus facile de se faire une opinion claire en magasin. Il arrive aussi que le besoin soit « pressant » et les produits indisponibles en ligne. Dans d’autres situations, les offres Internet ne sont pas beaucoup plus avantageuses si on inclut les frais de port. Enfin, le passage en magasin peut devenir une quasi obligation pour certains produits : par exemple acheter une guitare en ligne peut susciter quelques craintes pour les consommateurs, car il peut être nécessaire de régler la lutherie avant remise en main propre.
Vous avez sur votre blog déjà écrit quelques billets (ici, ici ou là) sur ce comportement ROPO, ROBO des consommateurs. Votre cabinet est souvent sollicité sur le sujet ?
Notre cabinet a été sollicité une dizaine de fois sur le sujet en 2009, alors qu’en 2008 le sujet commençait à peine à « exister » dans l’esprit de nos interlocuteurs. Nous sommes amenés aujourd’hui à accompagner de plus en plus de PME et grandes entreprises, issues du monde du B2B ou du B2C, qui ont existé sans Internet et qui découvrent depuis 10 ans les enjeux et l’importance de ce nouveau média. La plupart se sont montrées très sceptiques jusqu’il y a 2 ans encore mais en 2010, elles ont toutes à présent en main des éléments qui leur indiquent que leur clientèle est massivement présente sur Internet et que ne pas avoir un dispositif multicanal avec des points de contact web est une erreur car elles laissent le champ libre à la concurrence. De manière générale, les consommateurs sont là depuis quelques temps et ils attendent que les marques et les distributeurs se réveillent.
Sans citer de client, quel dispositif, étude (...) autours du phénomène Research-Online-Purchase-Offline avez vous accompagné ?
Nous avons travaillé avec des pure players lançant des points de vente, tout comme des acteurs purement Offline investissant de manière massive sur Internet... Difficile d'en dire plus sans dévoiler les noms de nos clients et leurs problématiques !
Quels sont les enjeux derrière le ROPO, ROBO selon vous ?
Concernant les enseignes de la grande distribution que nous accompagnons, les enjeux ont été politiques : il a fallu mener des études pour convaincre des décideurs vieillissants ou des responsables de magasin qu’Internet peut leur apporter du chiffre d’affaires et non le cannibaliser. Ironie du sort, c’est souvent lorsque ces derniers acquièrent le statut d’internautes consommateurs que les choses se débloquent…

Les études menées ont démontré en tout cas que si le chiffre d’affaires réalisé directement en ligne représente une part limitée du chiffre d’affaire global, la majorité des clients a déjà utilisé Internet pour préparer un achat et le chiffre d’affaire généré indirectement par leur dispositif web en point physique est lui loin d’être négligeable.

Autre observation : nombreux sont les responsables de magasins physiques qui indiquent à leur enseigne qu’ils voient débarquer de plus en plus de clients avec des fiches produit imprimées. Ces constats permettent de faire évoluer les débats dans le bon sens.

Les enjeux sont alors très clairs : il s’agit d’une part de définir une expérience client multicanal (unicité de l’offre qu’importe les canaux ?, disponibilité de l’offre sur l’ensemble des canaux ?, quelle place pour chaque canal / matrice des points de contact ?, identification des clients ? centralisation des données ? complémentarité des services offerts ?) et d’autre part d’allouer des moyens en phase avec la place qu’a pris Internet dans le processus d’achat de leurs clients. Des arbitrages sont à effectuer entre le dispositif web qui a besoin d’investissements pour que du contenu soit produit (richesse de la fiche produit, guide d’achat, contenu pédagogique) et pour rendre l’offre visible (e-marketing) et les divisions de communication traditionnelles qui possèdent de très gros budgets et des effectifs conséquents pour produire des tracts, des catalogues ou encore des publicités à la télévision.


Là où Internet représente un média consommé par les clients et les prospects à un niveau à peine inférieur à la télévision ou la presse, les investissements restent encore de l’ordre de 1 pour 10 voire 1 pour 100 dans les entreprises en défaveur de l’Internet.
La mesure de ce phénomène semble clef, et souvent peu évidente. Quels sont pour vous les réflexes à systématiser pour un distributeur, un fabriquant ?
Mesurer le phénomène nécessite la mise en place d’un cadre d’étude très précis qu’on ne peut pas pour l’instant mener en fil rouge sur un an pour un coût raisonnable. Il s’agit d’une démarche d’évangélisation/communication interne, il convient donc de mener des études de comportement multicanal sur base annuelle uniquement.
Par contre, il est possible de mettre en place des modèles simples de corrélation entre les visites sur un site Internet avec géolocalisation et une volumétrie de passages en caisse dans les magasins physiques sur les zones concernées. Ces modèles pourront ensuite être confrontés annuellement aux études multicanal pour procéder à un ré étalonnage.
D’autres techniques permettent également d’évaluer le phénomène : mesurer les visites sur les pages présentant les magasins, leurs services et leur horaires d’ouverture, mesurer des taux d’impression de fiches produits, mesurer les effets de campagnes de couponing, …
De manière générale, il est important de penser multicanal. Il est par exemple bien plus intéressant de demander à un client en magasin physique son adresse mail que son code postal.

Si je reste très terre à terre, les Brick & Mortars passent toujours dans de grande phase d'évangélisation interne, et il peut être opportun pour un responsable eCommerce de mettre en place des dispositifs de mesure simple (Questionnaire en ligne, enquête en magasin...) dans un premier temps. Quels seraient vos conseils, approches dans une telle configuration pour démontrer l'intérêt du phénomène ROPO ?
Il faut déjà se reposer sur des études existantes (cf l’enquête réalisée par Dia-Mart, Côté clients et Nouveau Monde DDB) qui permettent de poser le cadre. Pour convaincre les plus sceptiques, il n'y aura cependant rien de plus efficace qu'une étude interne à la méthodologie sérieuse sur le comportement Internet des clients en sortie de caisse.
Selon vous le ROPO est il un phénomène de transition, ou bien le Commerce traditionnel a encore de beaux jours devant lui ?
Le ROPO est clairement un phénomène durable. Le commerce traditionnel n’existe plus, il a évolué. Il y aura dorénavant des clients avec des comportements multicanaux et des enseignes qui savent en tirer profit, d’autres non. Si votre site Internet n’est pas fait pour accompagner le client sur les phases amont du processus d’achat, tant pis pour vous, vous perdez une bonne occasion d’établir un contact, rendre un service à un prospect (création de sympathie avec la marque) et finalement de maximiser vos chances de transformer in fine, qu’importe le canal.
Tous les produits ne sont pas faits pour être achetés facilement à distance. A-t-on seulement envisagé que la VPC d’avant avec ses catalogues puisse remplacer le « commerce traditionnel » ? De même, tous les produits ne seront pas achetés sur Internet ou sur mobile. Il faut accepter que chaque canal se prête plus ou moins bien à certains achats ou certains comportements. Par exemple, beaucoup de ventes réalisées par les sites Internet sont en fait aujourd’hui concrétisées au téléphone via un call center, lorsque le site en possède un… C’est le client final, autrement dit vous ou nous qui choisit le canal qui lui convient. Naturellement, il faut aiguiller et chercher à réduire les coûts. Du bon sens et une rationalisation minimum est nécessaire. Mais à vouloir cloisonner aujourd’hui les canaux, les entreprises se privent aujourd’hui de précieux points de croissance, de l’apprentissage de leur activité dans un contexte multicanal et d’une connaissance fine des comportements de leurs clients.
Merci à vous deux