Piano-forte

Par Montaigne0860

     Il n’est pas impossible que toute cette musique mélancolique soit liée au piano qui nous chante le regret des oiseaux en allés puisque les plectres du clavecin étaient des plumes et que les marteaux, eux, viennent tout droit des machines à emboutir de l’ère industrielle. Le clavecin dort au château et le piano surgit de l’usine. Son nom même est un cache-tonnerre : le forte est son autre nom, et le forte est le bruit qui incendie nos tympans depuis 1750. Auparavant la voix frêle réservée à la noblesse des salons tout d’ors vêtus était l’apanage des tentures et des habits de grand luxe, notre clavecin était pour quelques-uns une guitare horizontale et acrobatique d’où mille pincements imitaient les oiseaux. Avec le piano, c’est soit l’eau qui descend en cataractes violentes, soit le battement intime du cœur malade de vivre : forte-piano.
      Le piano est une forme de clavecin démocratique, un piétinement de foule aussi bien que les émois intimes d’un être particulier. C’est pourquoi Chopin s’il choisit la seconde part de cette alternative (émois intimes) ne manque pas cependant dans l’étude révolutionnaire de crier sa révolte contre l’envahissement de la Pologne par les Russes… ces canons cachés sous les fleurs dont parle Schumann. Car le piano est contemporain de la démocratie : chacun va pouvoir à loisir nuancer sa pensée, chanter selon son humeur et la joie et la tristesse qui font nos vies. Nos existences vont en effet piano-forte, mais reconnaissons qu’elles sont plus souvent piano que forte, et donnons raison à ceux qui ont ainsi baptisé cet étrange instrument souple et pourtant souvent droit.