Haïti : actualité pour longtemps

Publié le 30 janvier 2010 par Slal


Paris, janvier 2010
Laënnec Hurbon souhaite ici ouvrir une page permanente sur les effets du désastre, et surtout la reconstruction du pays déjà commencée. Il ne s'agit pas que les media et nos populations oublient au rythme des événements, malheureux ou surprenants, capables de mobiliser l'intérêt de la presse avant que ne survienne le prochain accident vecteur d'émotion et de compassion.


Laënnec Hurbon - janvier 2010
envoyé par Dominique Fournier

Cette page appartient aux Haïtiens qui ont à dire et à écrire pour porter témoignage des réalisations en cours. Laënnec Hurbon nous rappelle ici l'importance d'une pensée tournée tout entière sur l'action porteuse d'avenir en fonction de la place que chacun veut reconnaître au pays. Le choix pour le développement immédiat d'une université de grande qualité peut surprendre, de même que l'accent mis sur la nécessité de constitution d'une bibliothèque universitaire de haut niveau. Pourquoi maintenant ? N'y-a-t-il pas d'autres urgences ? Le domaine des élites intellectuelles, des universitaires, est celui de la mise en place d'une force de propositions censées aider très rapidement et efficacement au fonctionnement des nouvelles structures matérielles de l'État. La consultation aisée des livres scientifiques d'actualité contribuera à la formation et à l'ouverture des esprits, elle justifiera un désir de rester sur place pour un plus grand nombre, elle sera un des socles principaux du système universitaire haïtien susceptible de remettre paisiblement, et très rapidement, en cause l'ancienne structure socio-politique d'Haïti.
Un mail daté du 22 janvier de Jacky Lumarque, recteur de l'Université Quisqueya

Chers collègues et amis C'est mon premier contact avec l'internet depuis le séisme de mardi. Je m'excuse auprès des amis que mon silence a pu inquiéter ; mais j'étais très concentré sur les opérations de récupération des survivants et l'aide aux familles sinistrées. Ma conviction était de ne jamais cesser les opérations de sauvetage avant d'avoir la confirmation que les personnes recherchées étaient bien mortes. Voici la situation.
J'ai arrêté définitivement depuis hier la recherche de survivants et je suis finalement en mesure de sortir des décombres les cadavres identifiés : 5 étudiants de la fac des sciences de l'éducation dont 2 abbés de la congrégation des Salésiens, un père et une sœur de la congrégation de Ste Croix, un professeur, un ingénieur et deux jardiniers. Nous saurons ce matin s'il y a d'autres victimes que les personnes identifiées.
Les cadavres sont en décomposition avancée et nous avons dû transformer rapidement une citerne en caveau, dans l'espace du jardin botanique. Ce lieu sera le mausolée dédié aux victimes du séisme. Mgr Dumas, les provinciaux des congrégations de Don Bosco et de Ste Croix diront une messe à midi pour les défunts. Ceux qui ne peuvent être physiquement présents nous accompagneront de leur pensée affectueuse.
Je remercie spécialement les étudiants et les jeunes volontaires (dont la plupart n'ont même pas fait leur certificat d'études primaires) pour le courage extraordinaire dont ils ont fait preuve en travaillant 48 heures d'affilée afin de sortir des décombres près d'une vingtaine de survivants, sans moyens techniques et au péril de leur vie. Ceux que nous avons vu mourir sous nos yeux sont morts faute de moyens et d'équipements pour écarter les poutres et les dalles entre lesquelles les corps se trouvaient coincés.
Tous nos bâtiments ont été détruits y compris le Musée qui accueillait une exposition consacrée au célèbre peintre américain d'origine haïtienne Jean Michel Basquiat et les trois appartements que nous avions dédié aux professeurs invités en mission d'enseignement pour Quisqueya et les autres universités haïtiennes reconnues par l'Etat. Nous devrons recommencer à zéro et je n'ai aucun doute sur notre capacité collective à trouver les moyens, l'énergie et la détermination pour le faire.
Pour l'instant, Quisqueya se mobilise pour venir en aide aux familles sinistrées. Le campus du boulevard Harry Truman a été transformé en un centre d'accueil où 10,000 personnes sinistrées de Cité L'éternel sont déjà installées. Les Centres Gheskio et des médecins américains assistent les malades et les blessés. TOUS les étudiants finissants de la fac de Médecine de Quisqueya sont invités à venir nous assister dans l'organisation de la vie communautaire et la dispensation des soins de base. Nous attendons que l'enceinte soit sécurisée (les murs de clôture sont à remettre en place) avant d'entrer dans la distribution de nourriture, afin d'éviter les actes de pillage.
L'esplanade et le parking du campus de Turgeau seront également transformés en un centre de soins pour les sinistrés. Comme nous sommes installés tout près du réservoir principal de la Centrale métropolitaine d'eau potable, nous cherchons à mettre en place une petite usine de traitement d'eau afin de produire 3 mille gallons d'eau potable par jour, qui pourront desservir les résidents et les « colonies » des quartiers périphériques (Turgeau et Debussy). Nous attendons une aide de Aide et Action pour faire venir de la République Dominicaine les équipements pour l'installation du centre de traitement d'eau. Les étudiants de Quisqueya sont invités à se constituer en un réseau de solidarité universitaire. C'est en aidant les plus fragiles qu'ils trouveront en eux-mêmes l'énergie et l'inspiration pour organiser la reconstruction de leur vie personnelle et de l'espace collectif.
L'aide internationale est abondante mais mal coordonnée et les frustrations sont grandes. La population s'est spontanément organisée en « colonies »de quartiers ; il faut soutenir ces structures en les aidant à s'organiser de manière rationnelle, tout en canalisant les secours vers les plus nécessiteux.
Merci à tous nos amis pour l'expression de leur solidarité et de leur affection. Le plus dur est devant nous quand il faudra reconstruire et que les élans de solidarité spontanée et immédiate seront épuisés. Ce sera aux Haïtiens de s'organiser eux-mêmes avec l'aide de réseaux d'amis solidaires qui ne sont pas motivés exclusivement par la recherche de la visibilité médiatique.
Arhives SLAL : Laënnec Hurban au salon 09 , Jacky Lumarque, Recteur de l'Université Quisqueya