PS3, histoire d’un désamour et d’un malentendu

Publié le 25 mars 2007 par Jérôme / Khanh Dittmar / Dao Duc
 

La nouvelle s’est répandue en direct : le lancement de la Playstation 3 en France est un bide, un énorme flop, presque quelque chose d’historique. Rapidement relayée par les forums, la télévision, la pharaonique soirée de lancement promise aux pieds de la Tour Effel n’a attiré qu’une poignée de badauds, la plupart filtrés dans des files d’attentes à coups de carte bleue tendue comme un sésame pour rentrer dans la bonne file ; les autres, venus pour voir, attendant dans le froid quelques pauvres démos ou la projection en Blue Ray d’OSS 117. Comme s’il fallait montrer au public français son James Bond plutôt que Casino Royale, ce qui aurait quand même eu un peu plus de gueule. Au même moment, perdu au milieu d’une forêt de barres de sécurité, LCI filmait l’unique acheteur venu faire la queue à minuit devant la Fnac sur les Champs. L’image parlait d’elle-même, pathétique. Ailleurs toujours, sur l’inénarrable Game One, ses sémillants présentateurs accablés par la politique débilitante de leur autorité (MTV), ne cachaient pas pour une fois leur cynisme devant l’entrée déserte menant à la péniche affrétée par Sony pour le lancement de leur console. Au moins avec eux nous rions du piratage organisé par Microsoft, qui joyeusement car ne manquant pas d’humour faisait passer sur la Seine, au même moment, une péniche portant une bannière « Xbox 360 loves you ». Pendant ce temps à Londres, Microsoft offrait des chaises pliables pour faire patienter les acheteurs de PS3. Acheteurs qui pour les premiers, dans une logique invraisemblable, délirante et dispendieuse, sont repartis avec des Bravia 117cm sous le bras, en cab, aux frais de la princesse. C’est bien la première fois qu’un cadeau vaut peut-être 4 ou 6 fois la valeur de l’objet acheté.

Très vite donc chacun s’est mis à commenter ce lancement. Mais déjà, dès le 23 mars au matin, avant même que les presses n’aient le temps de relayer le four de cette soirée, toute la presse, régionale, nationale, télé ou web, s’avérait sceptique sur la PS3. Prix prohibitif, technologie pas encore à la hauteur des attentes, jeux peu séduisants. Partout donc, personne ne s’emballe, tandis que les joueurs, pour la plupart, se sentent mal aimés, parfois trahis, insultés, par ce qu’ils jugent (parfois à raison) comme une attitude condescendante, purement mercantile, bourrée de certitudes. Il y a en effet chez Sony depuis les annonces de la PS3 un véritable problème de communication, un plan média mal étudié, une mauvaise foi indéfectible, des déclarations hasardeuses quand elles ne sont pas délirantes, des contradictions, et surtout une appréhension de la réalité, économique mais pas seulement, digne du Soviet suprême. Mais n’allons pas trop vite, si nous avons voulu revenir un peu sur ce lancement et la PS3, ce n'est pas pour seulement synthétiser les informations que tout à chacun aura pu déjà lire ailleurs, ou analyser les erreurs de marketing de Sony. Après tout, le marketing ce n’est pas notre problème et pour tout vous dire, il n’y a certainement rien de plus ennuyeux que le marketing. Si nous avons voulu revenir dessus, c’est surtout pour discuter un peu la réaction suscitée par ce bide et tenter de décrire nos premières impressions avec la machine, que bien entendu nous possédons car sur Zero Infinite, nous n’aimons pas transiger sur les moyens.

La valse de rancoeurs lue sur le web à l’égard de Sony nous apparaît comme le point d’origine d’un véritable ressentiment. Bien que chacun aura raison de critiquer violemment Sony pour l’organisation odieuse de cette soirée de lancement, visiblement minable (on vous rassure, nous n’y étions pas, on a mieux à faire), l’ampleur des messages laisse mesurer combien le désamour à l’encontre de Sony a pris de l’ampleur. Sony est ainsi devenu le bouc émissaire, celui sur lequel il est bon ton de râler, de traîner dans la boue, de traquer les contradictions, d’affirmer l'abjecte politique consumériste. Comme si chaque constructeur n’avait pas la même. Ainsi la PS3 est devenue rapidement une machine tout en trop : trop cher, trop de technologie, trop grosse, trop laide (certes, elle l’est), trop roublarde, bref trop. Le moindre prétexte est bon pour la railler, ses exclus qu’elle perd à tour de bras, les portages de même qualité sur 360 (quand ils ne sont pas meilleurs), l’absence de jeu en ligne sur certains titres, et le prix, toujours le prix, l’absence de pack 20go, les tarifs moins élevés ailleurs (comme si les taxes ne pouvaient justifier cela). Personne n’en perd une miette, la moindre info devient croustillante, chacun a du temps à perdre pour râler, et surtout finalement avouer qu’il n’a pas les moyens de s’acheter ce rêve vendu à prix fort. On imaginait pas Sony raviver si violemment la lutte des classes.

Juger du prix d’une technologie demande une sérieuse capacité d’abstraction et de logique, parfois parfaitement contradictoire, polymorphe, bref schizophrène. Que vaut finalement la PS3 ? Son prix est-il justifié ? Pour aller un peu à contre courant, nous dirons oui. Et en répondant ainsi, nous ne nous baserons pas sur du concret, sur du matériel, la technologie de la machine, mais sur ce que veut très maladroitement nous vendre Sony depuis le début : une promesse. Il n’y a rien de plus difficile à vendre qu’une promesse dans le jeu vidéo, qui demande du concret, des preuves, d’éprouver ses nouvelles expériences immédiatement. Réussite totale de Nintendo sur ce terrain avec la Wii qui aura réussit à séduire massivement le public et maintenir l’illusion de la nouveauté avec sa console, qui pour nous a pourtant tout du non évènement (mais on y reviendra, promis). On se demande bien actuellement à quoi joue un possesseur de Wii, mais passons, mettons qu’il fait du sport depuis qu'il a terminé Zelda Twilight Princess. Une promesse donc pour Sony faite sur l’avenir, des jeux qui n’existent pas encore, à partir d’une technologie que la machine, pas encore maîtrisée, ne peut exploiter, sur des écrans que presque personne ne possède. C’est aussi ça qui provoque la valse des critiques, Sony veut nous faire jouer avec un matériel qui financièrement ferait de nous des riches, il nous vend du luxe. Et curieusement, alors que le monde entier court après les marques, que Louis Vuitton est devenu aussi populaire que Nike ou Reebok, on refuse à Sony de faire partie du club. On ne supporte pas l’idée que le jeu vidéo ne soit pas autre chose que populaire, bassement populaire, l’élitisme n’a pas sa place ici.

Ainsi les « rejetés du  système » dans lequel veut nous faire rentrer Sony hurlent au scandale. L’attitude, quasi aristocratique, de Sony passe mal. Le jeu vidéo doit rester à sa place, accessible, pas de nivellement par le haut. Qu’une console n’ait jamais proposé tant de possibilités (ce qui n’est pas sans aussi poser problème), qu’aucune machine n’ait été aussi ambitieuse (sauf la Wii, mais avec un concept plus transparent, immédiat) et si pointue technologiquement, tout ça passe à la trappe. Qu’il nous soit possible de jouer à trois générations de consoles sur une même plateforme, oublié. Que Home, malgré son brigandage, soit un projet d’une ampleur à ridiculiser Microsoft ou Nintendo, non, on boude malgré tout, certains préférant s’inventer des prétextes devant  Everybody Vote. Que Sony, derrière sa quête, certainement excessive, amnésique, de technologie cherche aussi à créer de nouvelle manière d’intensifier notre imaginaire, à se rapprocher de la peinture, personne ne s’en souvient, sauf peut-être Kojima dans un récent numéro de Edge. Tout est opacifié par de très basses raisons matérielles, un refus hypocrite ou faussement raisonnable promu sans cesse par des arguments où chacun renvoie sa condition sociale. Sony a perdu une bataille en nous considérant trop haut, et surtout en nous le disant mal. A des coudées de l’hyper démocratisation du jeu vidéo vanté par Miyamoto qui ne cesse de vouloir nous renvoyer au bac à sable, façon maternelle (on vous rassure, on aime aussi Nintendo, mais moins l’infantilisation), Sony a voulu rendre le jeu vidéo encore plus adulte par rapport à lui-même, puissant, complexe (ce qui a aussi ses limites), offrant une machine presque totale, sorte de grand chantier à construire, bourré d’exigences constamment en hausse. La PS3, machine d’esthète, lancée à cent à l’heure dans une course technologique délirante qu’elle s’impose à elle-même, est comme un bolide encore sans pilote  Une mécanique enflée, débordante par tous ses ports, qui n’est pas de son temps, à la fois trop en avance et en retard, une bête cybernétique désynchronisée, promue par une compagnie cherchant compulsivement, maladivement, à imposer la marche de sa technologie au monde.

L’hypocrisie caractérisant la réception de la PS3 en France est la même que celle qui fustige les riches d’être riches, alors que l’histoire est connue, tout le monde veut l'être. Aujourd’hui plus que jamais où l’argent est devenu un signe. Il y a ainsi comme un sentiment de panique et de rancune envers Sony, la peur, ou plutôt la rage, de ne pouvoir faire partie du rang. Appréhension justement parfaitement contrecarrée par Nintendo qui avec sa politique d’hyper démocratisation du jeu vidéo crée le phénomène inverse. Chez Nintendo, dont les pubs affichent série de sourires et de visages extatiques, épanouis, chacun peut venir jouer (et tant pis si le jeu vidéo se simplifie, voire parfois dégénère, après tout c’est le prix à payer pour cette démocratie vidéoludique) ; chez Sony, dont les pubs n’affichent que la machine, c’est plus select. D’un côté le peuple, de l’autre l’élite, vieilles lanternes qu’on imaginait pas voir briller du côté du jeu vidéo, et pourtant ; ou encore, toujours en terme d'image : du côté Nintendo, l’homme et la machine en harmonie (philosophie animiste), de l’autre, côté Sony, la machine seule, trônant comme un objet de désir ou de culte central, sorte de monolithe noir intimidant, mystérieux, presque religieux. Le problème enfin, c’est que ce qu’il reste de l’aristocratie a bien souvent succombé à la vulgarité de notre époque. Il y avait peut-être le geste, malgré lui, malgré tout, mais ce qu’il a manqué à Sony avec ce lancement français, c’est surtout de la classe. Pendant ce temps, le soleil brille sur Kyoto.

Et la Playstation 3 dans tout ça ? On y reviendra.

Jérôme Dittmar